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Chacun se bat, et c’est bon pour la santé !

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Santé conjuguée n° 63 - janvier 2013

Chez Claire Geraets, cofondatrice de la maison médicale La Clé, médecine et politique s’entremêlent inexorablement. Elle nous détaille avec conviction le sens, ou plutôt les sens, du capital des maisons médicales. Un capital qui est financier, historique, humain, relationnel et politique. Et qui n’est pas sans lien avec son combat en faveur de la justice sociale.

Nous sommes une asbl. C’est donc l’assemblée générale qui détient le capital financier. Et qui est garante de son utilisation. Elle est attentive à la question : à quoi utilise-t-on l’argent ? Si les ressources financières de nos associations ne sont pas assurées, les projets ne se réalisent pas. Au départ, j’ai créé la maison médicale ‘Le 35’, qui était composée de deux asbl, une francophone et une flamande. Une des entités a connu des difficultés et il a fallu licencier. C’est une situation extrêmement inconfortable, puisqu’il faut décider de licencier des collègues. D’autant que certaines fonctions sont protégées, et d’autres exposées, parce que considérées comme improductives. Un décalage du regard est donc indispensable. Dans les assemblées générales de Médecine pour le peuple qui sont les garants de la pérennité du projet, quand il y a des arbitrages à faire en termes de choix budgétaires, de projet, d’engagement de personnel etc., il peut être attentifs à faire valoir l’intérêt du projet, à rééquilibrer le pouvoir des travailleurs sur l’assemblée générale. Le capital financier ne vient pas du ciel ! Ce capital financier ne vient pas du ciel ou de n’importe où : c’est la sécurité sociale, donc une partie du salaire des travailleurs. Ils nous la confient, et nous en sommes responsables. Pour moi, les soins de santé sont un service public, payés par le public, et comme le disait un slogan des mutualités chrétiennes, je crois : « La sécurité sociale est ma sécurité, et elle est sociale car financée et garantie par tous, en fonction des moyens de chacun ». Dans leur tête, dans leur coeur et dans leurs tripes, les fondateurs d’une maison médicale détiennent une part du capital historique. C’est important d’entretenir ce capital, parce que ça permet de formuler d’où on vient, ce qui est indispensable pour définir où on va. Il y a aussi l’histoire du mouvement Médecine pour le peuple qui est écrite sous diverses formes. Il y a, notamment, trois ouvrages, celui de Kris Mercx1, celui de Dirk Van Duppen2, et celui de Hans Krammisch3, et un manifeste sur la vision du mouvement4. À Médecine pour le peuple Schaerbeek, on a fêté nos 20 ans et écrit ensemble un texte qui raconte ces 20 années. C’était une manière de s’approprier les mythes fondateurs. C’est d’autant plus important que je quitterai prochainement le projet. Ma retraite n’est pas un fait négociable, et la jeune équipe doit se saisir des traces. J’ai quitté ‘Le 35’ en 1992. Je souhaitais créer une maison médicale Médecine pour le peuple, et ce n’était pas le souhait du reste de cette équipe que j’avais fondée. Mais le travail de récit et de transmission de l’histoire n’avait pu être fait. De sorte que mon départ a été ressenti comme un abandon. Et a continué longtemps à constituer une clef de lecture des évolutions (« Du temps de Claire… »). Ces situations sont délétères. Il est important de raconter l’histoire, y compris ses ruptures.

Résister et agir

Le capital humain est concrétisé par des compétences, mais aussi des talents, du côté des soignants et des patients. Le cabinet du médecin est l’endroit où s’expriment tous les évènements de la vie des gens, quel que soit le lien avec leur santé. La maison médicale est un lieu fantastique où, au départ de la consultation, chacun de ces éléments peut faire l’objet d’une action. Tout a du sens pour la santé. On peut développer tous les talents. Et tout le monde a des talents. À Médecine pour le peuple, on ne peut pas faire la fête sans les patients, ni obtenir un siège du Parti du travail de Belgique au conseil communal, ni réussir Manifiesta5, ni monter un jumelage avec un centre de santé palestinien. La maison médicale compte 53 nationalités, 3000 patients inscrits, et environ 300 personnes sans papiers. Chacun s’implique, chacun se bat, et c’est bon pour la santé ! Ce que j’appelle le capital relationnel, ce sont les relations de la maison médicale avec son environnement, ce sont ses réseaux. Médecine pour le peuple Schaerbeek est en lien avec la communauté néerlandophone (nous avons des médecins flamands), avec la Fédération des maisons médicales, avec l’intergroupe bruxellois, avec la coordination sociale de Schaerbeek, et avec le réseau national Médecine pour le peuple. Le sens de ces réseaux, c’est de renforcer notre capacité de résistance et d’action. Notre capital politique nous vient du Parti du travail de Belgique, parti communiste qui se bat pour la justice sociale et le progrès social. Le Centre de lutte pour l’égalité (La Clé) s’est installé délibérément à Schaerbeek il y a 20 ans pour contrecarrer un pouvoir communal fascisant. Nous avons été, je pense, un petit élément qui a permis de faire changer la situation. Nous avons fait un travail d’information sur l’ancien commissaire en chef de la police, qui avait fait partie d’une milice d’extrême droite, un travail qui a soutenu un mouvement citoyen beaucoup plus large. Et c’est bon pour la santé ! Pour travailler à La Clé, il ne faut pas être membre du parti, mais il faut qu’il y ait des affiliés dans l’équipe. L’éducation politique est nourrie par les démarches sur l’histoire, les pétitions, le travail politique avec les patients, l’investissement lors des grèves, la lutte contre l’Ordre des médecins. Il y aussi un important capital qui réside dans les débuts de l’histoire des maisons médicales. Le travail de modélisation, au GERM (Groupe d’étude pour une réforme de la médecine) notamment, mais aussi lors de nombreuses autres initiatives dans les suites de Mai 68, reste fondamental, parce qu’il définit le cadre théorique de la remise en question du système de santé. J’ai l’impression que la mémoire de ces fondements se perd.

Le pouvoir et le projet

Ces sources théoriques nous définissent en tant qu’équipe pluridisciplinaire non hiérarchisée. Mais il faut être concret et réaliste. Les positions sociales donnent un pouvoir. Au départ, la parole d’un médecin dans une équipe de maison médicale a un autre pouvoir. C’est lié à sa position sociale, mais aussi à sa formation universitaire. Elle lui a apporté une capacité de synthèse et une compréhension du sens des mots qu’il faut reconnaître. La bonne question est : au service de quoi met-on ces compétences ? Je ne crois pas à l’autogestion. Le pouvoir n’est pas également réparti. Il faut oeuvrer à le mettre au service du plus grand nombre. A nouveau, c’est le travail de récit, d’appropriation, d’écriture de l’histoire qui est le moyen de le partager. Mais l’important, c’est le projet. C’est la santé des gens, au sens de l’Organisation mondiale de la santé. Et l’égalité, c’est bon pour la santé ! La question qui se pose à moi, aujourd’hui, c’est d’aider le projet à aller vers l’égalité, de mettre mon pouvoir de fondatrice, de médecin, de militante, de femme au service de l’égalité et de la santé.

Documents joints

  1. Médecin du Peuple, Kris Merckx, Editions Aden 2008
  2. La guerre des médicaments, Dirk Van Duppen, Editions Aden 2005.
  3. Docteur, je vais craquer ! Le stress au travail. Staf Henderickx et Hans Krammisch, Aden, 2010.
  4. Texte de Vision 2010 de Médecine pour le Peuple Droit à la santé dans une société en bonne santé.
  5. Journée de solidarité organisée par Médecine pour le peuple et le journal Solidaire. A lieu une fois par an, depuis 2010. Rencontres, débats, animations, concerts… En 2012, 7000 personnes présentes à la mer pour y assister, dont 7 bus de Schaerbeek.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 63 - janvier 2013

Les pages ’actualités’ du n° 63

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