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Hommages conjugués

Santé conjuguée n° 68 - juillet 2014

Il est passé en avril à la Fédération des maisons médicales, avec quelques textes, traces de l’histoire des maisons médicales. Il avait promis d’en ramener d’autres, bientôt. Il ne le fera pas. Pierre Mercenier est décédé ce samedi 26 avril à l’âge de 84 ans. Après lui avoir rendu un bref hommage dans le dernier News ( avril 2014 : Impermanence et continuité ), nous avons invité plusieurs personnes à nous parler de cet esprit novateur, dont les idées ont largement nourri le développement des maisons médicales.

Le service Education permanente de la Fédération des maisons médicales a réalisé un DVD rassemblant quelques traces de l’histoire des maisons médicales – bienvenue à tous ceux qui souhaiteraient y ajouter d’autres traces ! Ce document contient notamment le film réalisé par Jean Van der Vennet, « Le dit de Trasimène »1, où Pierre Mercenier et Harrie Van Balen racontent de manière claire et vivante l’histoire de leurs idées. On dit au Sénégal qu’il ne faut pas pleurer la perte des hommes et des femmes qui ont vécu leur vie pleinement. Pierre a vécu avec intensité, avec beaucoup d’exigence pour lui-même comme pour les autres. Il est parti après que le monde l’ai traversé. Tous nous avons eu le privilège d’avoir connu un être d’exception, qui a marqué son époque par une intelligence exceptionnelle au service d’un altruisme ambitieux, et la fidèle amitié d’un homme immensément généreux. Il nous a changé et à jamais, nous ne serons plus les mêmes. Jean-Pierre Unger, médecin, Institut de médecine tropicale Pierre Mercenier s’est assoupi au bord du lac Trasimène. Ainsi disparaît un socle scientifique et politique de la santé publique qui, heureusement, en a ancré plus d’un d’entre nous ( moi entre autres ) et dont les racines feront encore nombre de jets : il n’est sans doute pas vraiment mort. Pierre a été un des fondateurs du GERM ( Groupe d’étude pour une réforme de la médecine ) créé en réaction à la grève des médecins de 1964 qui voulaient contrer la première loi sur l’art de guérir et la naissance du système conventionné ( Loi Leburton ). Médecin de santé publique à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, puis plus tard à l’école de sante publique de l’université libre de Bruxelles, il a initié le développement du concept de soins de santé primaires à travers les centres de santé intégrés, dans plusieurs programmes – en Afrique et ailleurs. Au début des années 70, tandis que le GERM publie son livre blanc sur la politique de santé et convoque des Etats généraux de la santé, naissent les premières maisons médicales à Tournai, à Bruxelles puis à Liège ; elles pourront s’appuyer sur le modèle du centre de santé intégré pour s’expérimenter, se conceptualiser puis se développer. Pierre a toujours été exigeant, intégrant une approche politique et scientifique ; il fut un compagnon de route fidèle et puissant dans cette démarche novatrice. La route convergente du GERM et de la Fédération des maisons médicales est pour beaucoup dans la réussite de ce projet. Cette intelligence forte se traduisait aussi par le puits de culture qu’il pouvait faire partager en pédagogue haut de gamme ; sa patrie culturelle de prédilection, il en connaissait chaque pierre, chaque son, presque chaque intonation, il l’avait parcourue et avait fini par s’y installer. Dix pas avec lui en Italie étaient sans commune mesure avec ceux qu’aurait proposé n’importe quel guide, en plus avec la gouaille, la délectation gourmette, le plaisir. Voilà … quelques lignes pour ceux qui, même dans le secteur, ne feraient pas facilement le bond d’une génération ; activer la mémoire aide à moins mal vieillir. Pierre Mercenier nous aura laissé un matériel abon-dant, à faire fructifier encore, et on s’y emploiera.  Jacques Morel, médecin, parlementaire, ancien secrétaire général de la Fédération des maisons médicales J’ai terminé mes études de médecine peu après 1968. C’était une époque bouillonnante, et nous étions alors nombreux – révolutionnaires, marxistes-léninistes, trotskistes, anars et autres – à penser qu’il fallait aller travailler sur le terrain, près du peuple, pour y apporter les germes d’un changement sociétal radical, à partir de notre terrain médical mais en convergence avec d’autres. Les premières maisons médicales sont nées à cette époque, et c’est ainsi que j’ai rencontré Pierre Mercenier, un des fondateurs du GERM : il supervisait quasi quotidiennement, avec une équipe de l’Institut de médecine tropicale, la maison médicale de Linkebeek et celle de Norman Béthune où je m’étais engagé. Ces moments étaient très denses et riches – bien qu’à certains moments, le GERM nous soit apparu - à nous travailleurs de terrain - comme une structure réformiste de théoriciens éclairés… Nous avons d’ailleurs commis un texte très polémique ! GERM : G comme groupe, pourquoi pas un mouvement ? E comme étude, pourquoi pas l’action ? R comme réforme, pourquoi pas la révolution ? M comme médecine, pourquoi pas la santé ? Ces débats, parfois houleux ont toujours été menés dans le respect réciproque et la construction dialectique, et ils ont abouti à des positions proches : en fait nos engagements rencontraient très bien les analyses présentées dans le livre « Pour une politique de santé ». Pendant de longues années, Pierre a accompagné les maisons médicales de manière constante et indéfectible. Ce qui frappait chez lui, c’était son intelligence, son sens de l’analyse, sa manière de décortiquer un problème en un ensemble de petites parties qu’il réassemblait par la suite dans une grande cohérence. Ce qui frappait aussi, c’était sa franchise – parfois brutale d’ailleurs : recevoir une critique de sa part n’était pas chose évidente. Mais c’était toujours profitable ; et l’on ne pouvait qu’être impressionné par sa stature, sa personnalité, le fait que, pour beaucoup, il était, avec Harrie Van Balen, celui qui avait réinventé la santé publique appliquée à la politique, et spécialement au système de soins, et spécialement aux soins de santé primaires. Celui aussi qui pouvait théoriser sur quasi n’importe quoi à partir de méthodologies croisées mais toujours rigoureuses. C’est grâce à Pierre Mercenier que j’ai fait mienne cette idée qui ne m’a plus jamais quitté : la médecine marche sur deux jambes. L’une, c’est la santé in-dividuelle, curative, relationnelle, duelle : la clinique au quotidien du médecin praticien. Elle nourrit et doit se nourrir elle-même de l’autre jambe : la santé publique, qui donne la dimension collective aux problèmes individuels observés, qui fait que le patient isolé en face à face fait partie d’une famille, d’une société, d’un groupe à risque – c’est la porte ouverte à l’épidémiologie, particulièrement dans sa branche so-ciale, pour ceux qui ont la fibre politique et militante. C’est exactement cette nécessaire complémentarité que Pierre Mercenier m’a montrée : ses analyses critiques portaient autant sur le médecin clinicien braqué sur chaque patient l’un après l’autre, que sur le planificateur de santé publique dans son bureau isolé. Je ne suis pas le seul à avoir grâce à lui, appris à rassembler des apparents contraires, à dépasser à la fois la pratique et la théorie. Par la suite, nos routes se sont souvent croisées. Il a toujours été là quand il le fallait, pour conseiller des étudiants, pour les former à la santé publique au sortir de leurs études de médecine, pour apporter des idées constructives dans certaines structures auxquelles on lui demandait de participer ; et aussi pour donner des conseils, sans jugement et toujours dans le respect – mais terriblement forts parce qu’ils venaient de lui. Merci à toi Pierre pour tout cela. Nombreux sont ceux qui ne t’oublieront jamais. Michel Roland, médecin généraliste, enseignant retraité et président de Médecin du Monde Pierre Mercenier était un grand maître. C’est entre autres grâce à lui que j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers. Sa réflexion, sa simplicité, son ouverture d’esprit, sa sagesse, son sens de la justice, le dialogue et les discu-ssions m’ont guidée à travers les années. J’ai beaucoup appris sur ce qui compte vraiment dans la vie. Isabelle Bogaert, secrétaire, Institut de médecine tropicale J’ai connu Pierre Mercenier à la sortie des années ‘60 et cela a été une révélation. Il m’amenait le cadre intellectuel nécessaire pour soutenir les idéaux auxquels j’aspirais. Il me permettait de faire le lien entre ces idéaux et leur mise en pratique, sur la base de solides concepts d’organisation des services de santé. Et tout cela avec une pédagogie qui était faite de dialogue permanent. Ce cadre était si clair qu’il m’a suivi tout au long de ma carrière, sans jamais rien perdre de ses vertus d’orientation. Christian Darras, médecin et ancien coopérant en santé ( Congo et Bolivie ) Au-delà de la santé publique que Pierre m’a appris comme à nous tous, un des enseignements les plus pré-cieux qu’il m’ait transmis est l’art de travailler en équipe et d’unir les talents respectifs de chacun. Tout au long de ma vie professionnelle, cette manière de faire m’a toujours aidé et m’a permis de collaborer de manière fructueuse avec de nombreuses personnes de tous horizons. Je lui en suis profondément reconnaissant. Jean Van der Vennet, sociologue, Institut de médecine tropicale C’était en 1989. Nous élaborions le protocole de recherche-action du projet Ayuttahaya qui aurait ultérieurement une influence majeure sur le système de soins thaïlandais. Ma collègue thaïe, Jip était intriguée par l’approche de Pierre Mercenier, le grand professeur qui ne se posait pas comme expert qui sait mais réfléchissait avec l’équipe thaïe en place : He believes in people. Car si Pierre se montrait d’une exigence de rigueur sans failles, sa méthode consistait aussi à investir dans des personnes motivées et créatives, qui inventeraient ou adapteraient des stratégies aptes à renforcer les systèmes de soins. Les concepts étaient là pour comprendre et analyser, les solutions techniques éprouvées pour guider la décision, mais il fallait la connaissance intime des acteurs de terrain pour anticiper ce qui marcherait ou non. C’est de la même façon que pendant les dix années précédentes, j’ai travaillé au GERM, sous sa supervision, avec les maisons médicales. Au début, il envisageait la création par le GERM d’un centre de santé intégré pilote pour tester en Belgique les soins globaux, continus et intégrés. L’engagement social et la conviction des premières maisons médicales l’ont fait abandonner ce projet pour organiser la recherche-action avec elles. De Kasongo à la Belgique, en passant par Ayutthaya, il observait la mise à l’épreuve de sa batterie de concepts dans l’espoir de les affiner, d’en délimiter l’essentiel, au-delà des réalisations concrètes adaptées aux circonstances de terrain. Pierre nous a laissé des outils d’analyse essentiels, mais ses attitudes de recherche et d’action dans des situations complexes étaient au moins aussi novatrices. Nous avons eu beaucoup de chance de le connaitre. Merci Pierre. Monique Van Dormael, sociologue, chargée de recherche au GERM ( 1976-1986 ), chercheuse-enseignante à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers Il y a deux-trois semaines, j’étais dans un congrès où quelqu’un venait raconter comment elle avait ‘redressé’ en cinq ans un hôpital canadien grâce à l’aide de la communauté qui vivait à proximité. La semaine dernière, je travaillais avec le responsable d’un centre d’assuétudes qui rend leur confiance en eux à ses résidents en les écoutant et en valorisant leurs responsabilités assumées. J’ai aussi rencontré des sans-logis cet hiver qui ont mis en valeur le sens du travail que nous faisons. Ce travail, j’en ai découvert la valeur et la complexité de cours en cours, de réunion en réunion, de visite de terrain en visite de terrain, de discussion animée en discussion avec Pierre Mercenier et avec Harrie. La cohérence, la conviction, le dynamisme de leur duo restent chaque jour les piliers de l’engagement d’aujourd’hui. Que la terre lui soit légère. Xavier de Béthune, coordinateur des initiatives de qualité, Alliance nationale des mutualités chrétiennes J’ai eu le privilège de pouvoir travailler à Kasongo en ex-Zaïre ( maintenant République démocratique du Congo ) pendant quelques années ( de 1983 à 1986 ) et de faire partie de l’équipe de direction de la zone de santé. Durant cette période, Pierre Mercenier est passé plusieurs fois en supervision, à chaque fois pendant des périodes assez longues de 3 à 4 semaines. C’étaient des moments intenses d’échange, de dialogue et d’apprentissage sur lesquels je capitalise encore maintenant dans mon travail au département de santé publique à l’Institut de médecine tropicale ! Durant les longues soirées passées ensemble, autour d’une bonne bière, je découvris progressivement son parcours professionnel passionnant en Afrique, en Asie et … en Belgique. Plus tard, en 1990, de retour en Belgique, j’ai pu rejoindre l’équipe du formidable duo Pierre Mercenier et Harrie Van Balen à l’Institut de médecine tropicale. A nouveau, des années d’or, pendant lesquelles j’ai pu améliorer et consolider ma compréhension de la santé publique. Dans cette même période anversoise, j’ai eu l’occasion de travailler étroitement avec Pierre Mercenier sur le terrain au Zimbabwe, dans un projet de Medicus Mundi Belgique : une recherche-action au niveau d’un district. J’ai aussi pu l’assister régulièrement dans les fameuses analyses verticales du cours de santé publique. Quelle belle époque ! Quels bons souvenirs ! Les ca-pacités de conceptualisation et de synthèse de Pierre Mercenier étaient exceptionnelles. Pour moi, il a réellement été un maître – een echte leermeester. Je lui dois beaucoup. Pierre Mercenier était un grand humaniste. Je suis reconnaissant de l’avoir rencontré dans ma vie. Bart Criel, professeur de santé publique à l’Institut de médecine tropicale à Anvers La contribution de Pierre Mercenier au développement de la santé publique – souvent inséparable de celle d’Harrie Van Balen – a été fondamentale et très diversifiée. Ils ont très vite perçu les liens existant entre les pays industrialisés et les pays en développement : même si les contextes sont différents en termes d’institutions, de mentalités, de ressources, d’environnement ( dont le climat ) etc., les problèmes fondamentaux se superposent très largement. La santé publique est une, qui approche doit être globale ; et les sciences sociales ont une place essentielle pour appréhender un problème, en comprendre toutes les facettes, et agir. De là, aussi, l’intérêt de Pierre pour la recherche opérationnelle qu’il a introduite dans sa pratique alors que cette méthode était jusque-là réservée aux ingénieurs et aux chercheurs dans les sciences fondamentales. Ces visions l’ont amené autant vers le GERM et les maisons médicales en Belgique, que vers l’expérience de Kasongo ( ex Zaïre ), et dans bien d’autres régions du Sud dans les années qui ont suivi. La formation des professionnels de la santé, avant tout les médecins, était à ses yeux fondamentale. Il s’y est beaucoup investi à travers le CIPS ( Cours international de promotion de la santé ) à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers qui a été suivi par des médecins responsables de districts venant des quatre coins du monde. Il avait un sens rare de la délégation, j’en ai fait l’expérience comme membre du « triumvirat » à la tête du Cours international de promotion de la santé pendant 16 ans. Nous étions trois, avec Harrie et Pierre, et chacun prenait à tour de rôle et pour deux années consécutives l’entière responsabilité du Cours international de promotion de la santé. Ce responsable devait rendre compte à la réunion hebdomadaire du staff, mais ses deux acolytes le laissaient entièrement décider : s’ils n’étaient pas d’accord avec une décision, ils le lui faisaient savoir – mais n’interféraient pas dans sa gestion. Tout cela sans jamais la moindre dispute. Bien sûr, il était parfois assez catégorique dans l’expression … Et certains – dont des collègues d’autres disciplines qui par ailleurs l’appréciaient sur le plan personnel – disaient « Pierre Mercenier est dogmatique », « c’est un esprit théorique », sans percevoir que ce qu’il énonçait était une construction basée avec rigueur sur son expérience propre et sur celles des autres, examinées avec une attention critique mais respectueuse. En fait, il présentait son point de vue de façon claire et très structurée, dans un ordre logique et il tenait beaucoup au sens précis des termes employés. C’est ce qui m’a le plus frappé lorsque je l’ai retrouvé au moment où j’ai rejoint l’Institut de médecine tropicale : le souci de fournir une explication cohérente et utilisable en pratique. Le film de Jean Van der Vennet1 montre bien la clarté et la progression de son discours. Travailler avec Pierre Mercenier, cela a été pour moi un apprentissage et une expérience humaine qui a marqué ma vie professionnelle, mais aussi personnelle. Ivan Beghin, secrétaire à l’Institut de médecine tropicale S’il fallait juger du travail de Pierre à l’aune des critères que les universités contemporaines utilisent, il est improbable, comme il l’a souvent dit lui-même, qu’aujourd’hui il eût fait long feu en milieu académique : peu d’articles, pas de facteur d’impact, peu de ‘grants’ et nulle gestion politicienne de ses relations. Pourtant, il y a peu de publications scientifiques dans le domaine de l’organisation des services de santé qui ne véhiculent ses concepts, qui ne portent la marque des idées qu’il développa avec son alter ego et ami de toujours, le professeur Harrie Van Balen : les soins ‘globaux’, ‘continus’ et ‘intégrés’ ; le système de santé intégré, le nursing holistique, la participation communautaire, la cogestion, le travail en équipe ; l’intégration d’activités de programmes de contrôle de maladie dans les services de santé de base ; la gestion en réseau des systèmes locaux de santé … Pour peu qu’on se livre à un peu ‘d‘archéologie du savoir’, on découvre que la plupart de ces concepts ont été formulés pour la première fois, dès 1971, dans un livre blanc dont la distribution fut limitée – ‘Pour une politique de santé’, du GERM. Pierre Mercenier et ses collègues du GERM y présentaient les lignes de force d’une politique de santé cohérente et émancipatrice. Ce document reste parfaitement d’actualité en 2014, et il est toujours utilisé dans l’enseignement de la santé publique à l’Institut de médecine tropicale. Comment expliquer l’extraordinaire dissémination de la pensée de Pierre Mercenier depuis plus de 40 ans ? Certes, il y eut une exceptionnelle opportunité : avec Halfdan Mahler à l’Organisation mondiale de la santé et Debabar Banerji en Inde, ils formulèrent la politique des soins de santé primaires – que les Nations-Unies allaient endosser à la conférence d’Alma Ata en 1978. Mais au-delà de cette circonstance, il dissémina ses concepts grâce à une aptitude au dialogue et à l’écoute, une rigueur conceptuelle exceptionnelle, sans faille, et une capacité de réalisation : une pratique qui permettait de fixer les idées et de les inscrire de manière durable dans les systèmes de santé – une pratique qui requérait les inputs de praticiens de terrain créatifs et motivés. La qualité intrinsèque de ses théories relatives à l’organisation des services et systèmes de soins joua aussi un rôle clé dans leur dissémination : elles furent utiles aux cliniciens parce qu’il les conçut à partir de sa propre pratique de clinicien – essentiellement celle d’un cardiologue et d’un phtisiologue. Et de fait, Pierre Mercenier construisit tout au long de sa carrière, au Nord et au Sud, des ponts entre l’expérience clinique du soignant et celle du gestionnaire des systèmes de santé. Et c’est en essayant de mettre ses théories en pratique qu’il les a progressivement perfectionnées. Il fallut pour cela qu’il assure dans la durée le suivi de zones pilotes de soins de santé comme Kasongo ( Congo ex-Zaïre ), Dolisie ( République du Congo ) ou Ayutthaya ( Thaïlande ) ; de projets nationaux comme celui de Thiès ( Sénégal ) ; et de programmes de contrôle de maladie ( comme celui de la tuberculose dans le Chaco, en Argentine ). C’est aussi sa liberté de pensée qui permit à Pierre de formuler des concepts socialement et professionnellement utiles. Il n’hésita pas à critiquer durement les politiques dominantes et le non système de santé belge, à s’engager ( en fondant le GERM, mentionné ci-dessus ) et à renoncer aux alliances qui auraient pu lui être profitables. Paradoxalement, il est probable que l’évolution des systèmes de santé a aussi contribué à la dissémination de ses idées. Ainsi, le contrôle des dépenses publiques de santé a amené les gouvernements à réinventer la délégation des tâches ( ‘task shifting’ ) jusque dans les pays industrialisés ; et la privatisation des services a obligé plus d’un spécialiste en santé publique à se pencher sur la fragmentation et la segmentation des systèmes, et sur les conséquences que cela entraîne pour l’accès à des soins de qualité. Car, cruelle ironie de l’histoire, la réalité des soins de santé dans le monde s’éloignait des critères que Pierre et Harrie avaient formulés alors que les universités les adoptaient progressivement. Au-delà de ses concepts, dont il est difficile de prévoir la pérennité, c’est l’attitude de Pierre dans l’action, l’enseignement et la recherche, que jamais nous n’oublierons : l’exemple d’un humaniste qui s’est refusé aux compromissions, qui sut travailler en équipe et qui, sa vie durant, et avec une pensée réflexive, a confronté ses concepts à la dure épreuve de la réalité des soins de santé : à partir d’une pratique, et qui plus est, d’une pratique du changement des services et systèmes de santé. Jean-Pierre Unger, “senior lecturer” et ancien codirecteur de la maîtrise en santé publique et qualité d’Anvers Bart Criel, Professeur Guy Kegels à l’Institut de médecine tropicale Ce texte a été publié dans Politiques internationales de santé www.santemondiale.org

Documents joints

  1. « Le dit de Trasimène » : www.maisonmedicale.org/-Traces-de-l-histoire-.html www.maisonmedicale.org/-Traces-de-l-histoire-.html

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 68 - juillet 2014

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