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Interdisciplinarité, que tu nous tiennes !


Santé conjuguée n° 64 - avril 2013

L’une des dimensions du travail infirmier réside dans le contact avec d’autres métiers, y compris audelà du soin. En maison médicale, l’interdisciplinarité conditionne plus qu’ailleurs les pratiques des prestataires. A quelles conditions est-elle efficace ? Comment peut-elle renforcer l’efficience du travail infirmier ?

Le travail interdisciplinaire en maison médicale prend ses racines non seulement dans la définition des soins infirmiers de l’Organisation mondiale de la santé (voir encadré) qui considère celle-ci comme un état de bien-être physique, moral et social, mais aussi dans les principes de la charte d’Ottawa1 qui incluent dans la promotion de la santé les aspects politiques, économiques, culturels et environnementaux. L’interdisciplinarité se fonde d’abord sur une prise en charge plus globale, plus cohérente, plus efficace du patient. Il s’agit d’un véritable travail collectif construit autour d’un objectif commun : le bien-être des patients. Si nous considérons en tant qu’infirmiers que la santé fait référence à un ensemble de besoins (cf. classification des besoins de Virginia Henderson -1947 et échelle de Maslow -1954), nous comprenons aisément qu’une seule discipline isolée ne peut répondre, seule, à l’ensemble de ceux-ci. En dehors de situations très ponctuelles où la réponse d’une seule discipline suffit à régler le problème de santé en présence, le travail en équipe interdisciplinaire donne l’occasion de s’associer pour envisager ensemble le problème, aborder conjointement la prise en charge et apporter des réponses concertées, adéquates, affinées et évaluables à tout moment.

Patient au croisement

En plaçant le patient au centre, le travail interdisciplinaire le rend à la fois acteur et libre, car en possession des informations nécessaires à une réappropriation de sa santé. Cette approche est basée sur une vision active et réaliste du patient et non exclusivement clinique. L’infirmier ne « voit » pas le patient sous le même angle que le médecin ou le kinésithérapeute. Selon l’OMS… « La mission des soins infirmiers dans la société est d’aider les individus, les familles et les groupes à déterminer et réaliser leur plein potentiel physique, mental et social et à y parvenir dans le contexte de l’environnement dans lequel ils vivent et travaillent, tout cela en respectant un code de déontologie très strict. (…) Les soins infirmiers (…) concernent les aspects physiques, mentaux et sociaux de la vie en ce qu’ils affectent la santé, la maladie, le handicap et la mort. Les infirmiers permettent la participation active de l’individu, de sa famille et de ses amis, du groupe social et de la communauté, de façon appropriée, dans tous les aspects des soins de santé, et encouragent ainsi l’indépendance et l’autodétermination. Les infirmiers travaillent aussi comme partenaires des membres des autres professions impliquées dans la prestation des services de santé. » La concertation interdisciplinaire a ici tout son sens : elle offre la possibilité de se doter d’une vision et d’un langage communs, d’aborder le patient et sa santé de façon complète, ancrée dans la situation de terrain, chargée de tous les aspects de la vie ayant un lien avec la santé. Le patient se sent alors pris en compte, écouté, et, à cette condition, peut adhérer à une démarche éducative et participative où un véritable travail de réappropriation progressive de sa santé (empowerment) peut commencer. Cette concertation n’empêche pas la prise d’initiative et la liberté thérapeutique des soignants. Au-delà du médical Cette vision, élargie au-delà des professions de médecin, de kinésithérapeute et d’infirmier, permet de mettre à jour toute la richesse de la complémentarité (sociale, psychologique, relationnelle…) autour d’un patient au sein de la maison médicale. Outre la concertation, l’interdisciplinarité suscite la coopération : si les disciplines coopèrent, l’efficience de la prise en charge s’en trouve renforcée et la satisfaction du patient et des soignants est décuplée. Tout le monde y gagne. Là se situe le vrai travail d’équipe ! Dans cette dynamique positive, l’infirmier est davantage encouragé à mettre au service de l’équipe toutes les spécificités liées à sa formation, non seulement en effectuant des soins appropriés, mais également en apportant son expertise en matière de prévention et de promotion de la santé, par l’approche globale et par la planification des soins à partir des besoins du patient. Au-delà de la maison médicale Le travail interdisciplinaire peut facilement s’exporter et impulser la dynamique vers l’extérieur. En faisant appel à des équipes extérieures (équipe hospitalière, soins palliatifs, aides familiales, CPAS, aides à domicile, mutuelles, centres de santé mentale, maison de quartier, centre de jour…) l’équipe de la maison médicale incite d’autres structures à travailler en collaboration avec elle. Plus-values Une véritable empathie peut naître entre travailleurs, car on prend mieux conscience des difficultés propres à chaque profession. En étant encouragés à échanger entre disciplines (surtout avec les médecins et les kinésithérapeutes), à partager nos savoirs en fonction des réalités de terrain, on se connait mieux, on s’apprécie plus et on ose davantage faire appel les uns aux autres. On expérimente réellement la complémentarité, la fluidité dans la collaboration et l’entraide. On se sent alors reconnu dans ses difficultés ou dans ses maladresses, on se sent compris. On arrive à dépasser des situations complexes car on n’est plus seul : la problématique de santé et la complexité de la prise en charge deviennent un défi collectif.

Exigences collectives

L’interdisciplinarité ne tombe pas du ciel, elle se construit… Elle s’inscrit dans une recherche d’amélioration constante. Il s’agit d’un travail d’équipe où chacun a sa place propre, en fonction de sa formation, de ses compétences et de sa motivation ! La confusion des rôle serait ici un frein à la construction de projets en commun. Chacun doit être conscient de ses propres compétences et être reconnu, connaitre et reconnaître ses limites et celles de ses partenaires. Il est donc primordial que les missions des uns et des autres soient clairement définies. L’équipe doit établir un vrai projet, être d’accord de mettre au centre de ses préoccupations la santé du patient et le bien-être de ses travailleurs. Cela implique une grande capacité de remise en question et une évaluation régulière. Il s’agit de travailler sur les mêmes bases, par paliers d’objectifs communs inscrits dans une dynamique sur le court, le moyen et le long terme. Les infirmiers ont ici l’occasion de faire entendre leur voix, il y a une place à prendre ! Cette façon de travailler implique un niveau élevé de qualité relationnelle au sein du groupe, un travail sur la dynamique collective basée sur la confiance, une communication interne bien huilée… une certaine dose d’humilité, d’indulgence et de patience avec les patients, mais aussi entre collègues, toutes fonctions confondues. Le travail en interdisciplinarité engendre par lui-même un enrichissement des relations interprofessionnelles, élargit les compétences, révèle de nouvelles pistes, augmente les performances collectives et individuelles. Il permet des découvertes surprenantes sur la force de mobilisation d’un groupe qui pratique l’écoute, la solidarité et la coopération. Un autre défi de taille est celui de la formation, de la transmission de savoirs et de l’accueil de stagiaires infirmiers dans nos structures de soins de première ligne.

Vers la transdisciplinarité ?

Nous sommes encore aux prémices d’une interdisciplinarité que l’on aimerait voir tendre vers une véritable transdisciplinarité où la cohérence des soins pour le patient dans son environnement serait encore plus pointue, plus ciblée et plus adaptée à chaque situation. Il y a encore du chemin à parcourir au niveau de la promotion et de la mise en valeur de nos pratiques au sein des maisons médicales, pour arriver à une prise de conscience générale et politique des potentialités inouïes qu’offre le travail en équipe pluridisciplinaire, des montagnes qu’il pourrait soulever si on lui donnait plus de visibilité et de moyens.

Documents joints

  1. Texte de référence adopté le 21 novembre 1986 à l’issue de la première conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie à Ottawa.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 64 - avril 2013

Les pages ’actualités’ du n° 64

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