Aller au contenu

L’approche communautaire de la santé : une des stratégies d’intervention sur les déterminants socio-économiques


Santé conjuguée n° 40 - avril 2007

La prise en compte des déterminants non médicaux à la racine des inégalités de santé nécessite le développement de modes d’action adaptés.

Le changement n’est pas seulement possible, il est aussi souhaitable. La pauvreté, le chômage, la maladie mentale, l’injustice, la solitude et l’exclusion sont les grands thèmes de la souffrance humaine depuis plusieurs siècles et ils ont mobilisé, avec une certaine efficacité, nombre de projets réformateurs. Mais la forme même de ces thèmes de souffrance a changé. Ces thèmes ont pris aujourd’hui une tournure « moderne ».

DES POLITIQUES DE SANTÉ OBSOLÈTES

Les inégalités en matière de santé sont largement liées au contexte social, ce constat est aujourd’hui bien démontré et observé. Il se confirme quasi pour toutes les pathologies, pour l’utilisation des services, pour l’espérance et la qualité de la vie. Dès lors que ce constat est fait, quelle leçon peut-on en tirer ? Quelles stratégies d’action ont été dégagées ? L’observation des politiques dites de santé montre qu’en réalité peu de leçons ont été tirées de ce constat et force est de constater que le débat sur les performances du système de santé se déroule comme si ces déterminants au sens large n’entraient pas en ligne de compte dans les décisions relatives au montant à allouer aux services strictement définis comme médicaux. La réalité reste bien que la pression en faveur du développement du système traditionnel de soins conduit à exclure la prise en compte d’autres déterminants aujourd’hui plus décisifs de l’état de santé. Globalement, c’est bien plus l’inflation des coûts des systèmes qui s’est vue critiquée que les objectifs de politique de santé. Cependant, la récurrence de la spirale inflationniste des systèmes et le plafonnement de leur performance a montré les limites de ces stratégies de contrôle des coûts, a ouvert une brèche dans le modèle et a permis la recherche de nouvelles perspectives.

OBJECTIF : PLUS D’ ÉQUITÉ

Les moyens d’action proposés sont multiples, à la mesure de la complexité et de l’interaction des facteurs en cause. Une lecture adaptée de la charte d’Ottawa (1986) permet de classer les modes d’intervention de promotion de la santé sous deux types complémentaires.
D’une part, les actions qui visent les comportements individuels – c’est tout le champ de l’information, de l’éducation pour la santé, du marketing social ; la promotion de la santé vise là à permettre aux gens d’accroître leur capacité d’agir, d’exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé et de faire des choix favorables.
D’autre part, il y a les interventions qui cherchent à modifier l’environnement social et politique, à développer des politiques publiques saines par la prise de conscience de « l’impact-santé » des politiques, à assurer des milieux de vie favorables, à développer l’action communautaire (la promotion de la santé relève de la participation effective et concrète de la collectivité) et à réorienter les services vers la promotion de la santé.
L’essentiel est de voir la nécessité de stratégies diverses, complémentaires, généralement portées par des acteurs diversifiés dans un champ de compétences plurielles. Le secteur de la santé devient paradoxalement un acteur parmi d’autres. A contrario, les individus et collectivités sont responsabilisés comme acteurs de santé. Cette dimension clarifie les responsabilités : la réduction des inégalités sociales en santé dépend avant tout de la lutte contre les disparités sociales et des mesures en faveur de plus d’équité, ce qui tient largement à des politiques de changement social et à des choix de société. D’aucuns auraient tendance à considérer que seule la promotion de la santé est responsable de cette dimension, c’est une erreur.

L’APPROCHE COMMUNAUTAIRE…

L’approche communautaire n’est pas une fin en soi ; elle n’est pas non plus automatiquement marquée idéologiquement du sceau du développement et du progrès. Ce sont bien les finalités et principes, les idéaux qui en déterminent les objectifs, la qualité et les limites comme mode d’intervention. En bref, l’approche communautaire sera définie comme une pratique s’appliquant à la santé dans un système de solidarité et de dialogues :
– horizontal, entre pairs ;
– vertical, entre couches professionnelles, couches sociales, génération d’âges ;
– durable, tenant compte des générations présentes et futures. Cette pratique repose sur :
– une base collective communautaire, locale ;
– un repérage collectif des problèmes et des potentialités qui implique la population (diagnostic) et qui inclut les dynamiques sociales à l’œuvre dans la collectivité (ébauches de solutions, micro-réalisations, réseaux de solidarité) ;
– la participation de tous les acteurs concernés (décideurs, professionnels, usagers) ; participation autant sur le mode représentatif que direct. La communauté est un lieu d’échanges, de réflexion et d’action qui positionne les individus dans une dimension collective ; elle devient le lieu d’émergence, de définition et de compréhension des problèmes. L’action communautaire tire dès lors son fondement dans l’affirmation que les problèmes sociaux sont de nature collective et qu’ils doivent faire l’objet de solutions collectives. La communauté devient elle-même un levier d’action et l’action communautaire peut être considérée comme une des dynamiques sociales de changement à travers lesquelles se mettent en place des mécanismes de compensation susceptibles de récupérer ou de construire de nouveaux équilibres, la santé ou le bien–être s’entendant comme cette recherche d’équilibre. Les piliers et stratégies d’action de l’approche communautaire ne lui sont évidemment pas spécifiques, de même que l’action communautaire n’est pas l’apanage de la promotion de la santé. Elle a été développée bien avant, dans les secteurs de l’éducation populaire ou du développement social. Sans doute des modes de travail comme la concertation, le travail en réseau, l’intersectorialité ou la participation font-ils partie des piliers du travail communautaire.

… une approche pertinente des inégalités en matière de santé

Les mutations aux plans économique, social, sanitaire et environnemental (modification des rapports de travail, exclusion des moins qualifiés, précarité, maladies de civilisation et mal-être, mondialisation…) ont conduit à des changements dans les rapports sociaux et dans les structures : repli sur soi, individualisation, affaiblissement des liens sociaux. Ces éléments forcent à développer des stratégies qui intègrent les différents enjeux. La prise en compte de la globalité des situations qui affectent les groupes sociaux et la dimension multisectorielle sont les composantes essentielles d’une approche intégrée d’un développement souhaité durable. Les interventions appuyées sur la notion de territoire versus communauté cherchent à valoriser les capacités des personnes et des populations, particulièrement les plus vulnérables, en soutenant leurs potentialités, leur capacité d’agir. On peut citer quelques objectifs non exhaustifs que j’emprunte à Pierre Laurence qui fait de la revitalisation du tissu social communautaire un enjeu pour la réduction des inégalités :
– Etablir un plan intégré de développement social.
– Améliorer les conditions de vie et de participation sociale des citoyen(ne)s, particulièrement ceux et celles qui sont en situation d’exclusion.
– Accroître le sentiment d’appartenance au milieu.
– Assurer une cohérence entre santé en terme de qualité de la vie et développement économique, social, culturel et environnemental au plan local et régional dans une perspective de développement durable.
– Faire connaître, partager, comprendre ces objectifs à toutes les catégories d’acteurs. La participation des citoyens est une des conditions de réussite. Reconquérir autonomie et dignité, reconnaissance et estime de soi sont des leviers essentiels d’exercice de ses droits et de ses responsabilités. Le « communautaire » est au carrefour de ces dynamiques. Dans la mesure où il se laisse réellement interroger, questionner par la participation sociale qu’il suscite, qu’il en fait un levier de changement et de mobilisation, le développement communautaire doit pouvoir représenter une approche pertinente des inégalités en matière de santé.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 40 - avril 2007

L’approche communautaire de la santé : une des stratégies d’intervention sur les déterminants socio-économiques

La prise en compte des déterminants non médicaux à la racine des inégalités de santé nécessite le développement de modes d’action adaptés. Le changement n’est pas seulement possible, il est aussi souhaitable. La pauvreté, le chômage,(…)

- Morel Jacques

Problématique des inégalités socio-économiques de santé en Belgique

Depuis plusieurs années, la littérature scientifique s’attache à mettre en évidence le fossé existant entre les couches sociales en matière de santé. Parallèlement, le plaidoyer pour une approche holistique de la problématique des inégalités socio-économiques de(…)

- Dr. Sara Willems, Ilse Van de Geuchte, Joke Impens, Pr. Jan De Maeseneer, Dr. Valérie Alaluf, Dr. Iris Van Nespen, Nathalie Maulet, Pr. Michel Roland

L’inégalité dans l’accès aux soins pour les personnes sourdes

On peut aisément imaginer la difficulté d’une personne sourde à comprendre ou se faire comprendre d’un interlocuteur non initié à son mode de communication. Mais, quand le monde médical rencontre le monde du silence, l’inégalité va(…)

- Grégoire Muriel, Jehass Odile

Inégalités sociales de santé et politiques publiques

Poil à gratter des représentations culturelles et des a priori politiques les plus tenaces dans les pays médicalement avancés, la question des inégalités sociales de santé remet en cause pas mal de logiques d’investissement et de(…)

- Perrine Humblet

L’interprétariat social

Aujourd’hui, de plus en plus de services de première ligne doivent toucher des personnes d’origines diverses. Un problème linguistique ne peut être le prétexte pour ne pas aider les personnes dans la société. Même si l’aide(…)

- Backes Stephan

Les CPAS, au pied du mur des inégalités

Quand on se retrouve au bas de l’échelle sociale, le CPAS constitue le dernier “gros” filet institutionnel susceptible de préserver une dignité de vie et une affiliation sociale. Y a-t-il dans les CPAS une prise de(…)

- Herscovici Anne

Sortir de la précarité, une voie parmi d’autres

On entendait jadis répéter : « les voies du Seigneur sont impénétrables ». Le témoignage que vous allez lire donne à penser que les chemins de la santé (au sens large) sont imprévisibles.

- Auteur anonyme

Les inégalités sociales de santé, une question épineuse ?

De la préhistoire jusqu’aux observations les plus récentes, Pierre Drielsma propose un voyage “secouant” dans un monde où les inégalités ont certainement du sens, mais peut-être pas de légitimité…

- Dr Pierre Drielsma

Quelques expériences européennes

Plusieurs pays européens ont, dans les années récentes, élaboré des stratégies organisées pour réduire les inégalités de santé. C’est le cas notamment du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de la Suède.

-

Les pages 'actualités' du n° 40

Rudy Demotte : bilan d’une législature

A quelques semaines des urnes, jetons un coup d’oeil dans le rétro. Quel bilan tirer de l’action de notre Ministre la santé, Rudy Demotte, durant ces quatre dernières années ? Dans le cadre d’un attelage que(…)

- Dr Olivier Mariage

Plaidoyer pour la médecine générale

La médecine générale, trop souvent réduite à un rôle de deuxième plan, constitue un outil central dans l’organisation des soins de santé, tout particulièrement dans le contexte présent qui voit à nouveau se creuser les inégalités.(…)

- Dr Anne Gillet-Verhaegen

Promotion de la santé : de la théorie à la pratique… ou à quoi servent les déclarations solennelles de l’OMS ?

De la déclaration d’Alma Ata (1978) à la Charte de Bangkok (2005), les déclarations solennelles de l’OMS se succèdent pour proclamer comment assurer à la population mondiale des conditions de vie favorables à la santé. Qu’ont(…)

- Sandrin Berthon Brigitte

La démarche « Qualité » – Formalisation, évaluation et co-évolution des pratiques institutionnelles

Nombreux sont les obstacles à l’évaluation des pratiques. Pour les surmonter, il importe de mettre en place une démarche dont l’objectif sera d’améliorer la qualité des soins et de l’offre de service. Pour y arriver, il(…)

- Lambrette Grégory