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La crise du système sanitaire en Espagne et à Madrid ou comment détruire un système sanitaire équitable et efficient

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Santé conjuguée n° 64 - avril 2013

Entre héritage d’une gestion imprévoyante, sauve-qui-peut budgétaire et idéologie libérale, le service public de santé espagnol, en particulier les centres de santé qui sont au coeur des soins de santé primaires semble très mal pris dans la crise actuelle. Juste derrière le grec, le peuple espagnol est-il aussi devant nous ?

Depuis les années 80-85, les soins de santé primaires espagnols ont été une référence en santé car il s’agit d’un modèle d’accès public, gratuit et universel, avec des coûts relativement bas, des soins universels et un large éventail de services offerts aux citoyens. Ce système se base sur la définition de zones géographiques de 25 000 personnes, avec un centre de santé où des médecins et des infirmiers assurent des soins de santé à domicile et en consultation, autour de la maladie, mais avec des activités de prévention et de promotion à la santé. D’autres professionnels ont aussi leur place : dentistes, kinésithérapeutes, sages-femmes, travailleurs sociaux et autres. Un modèle articulé de soins communautaires La mise en place de ce modèle a eu lieu en même temps que la création de la spécialisation de médecine de famille et communautaire, dans le système national de formation spécialisée, ce qui a permis le développement d’un champ de connaissances propre, un important développement technique et scientifique des soins de santé primaires et la présence des médecins de famille dans d’autres lieux de travail y compris les hôpitaux. La spécialisation est actuellement bien établie, avec une durée de quatre ans et a comme résultat une formation solide (des spécialistes sont demandés par d’autres pays !) qui se fait une place progressivement au niveau de l’université. Surtout, les soins de santé primaires comme champ d’action et la médecine de famille comme métier sont reconnus par la population, de Ou comment détruire un système sanitaire équitable et efficient manière assez généralisée, au-dessus de n’importe quel autre service public de santé. Dans tout ce processus, la Société espagnole de médecine de famille et communautaire a joué un rôle déterminant ; elle regroupe 20.000 médecins de famille sur toute l’Espagne et est très reconnue en Europe et en Amérique Latine. Depuis le début, les médecins de famille ont participé activement à la gestion des centres de santé et au développement des activités offertes à la population, ils ont intégré le besoin de rationaliser les ressources (humaines, techniques, pharmacologiques, formatives, …), le tout en collaboration et avec la participation de tous les professionnels travaillant au service de la collectivité sanitaire et de la population desservie. Comme les hôpitaux, les centres de santé sont des institutions publiques et les travailleurs sont salariés de l’Administration, la plupart suite à un concours public. Ce statut de « fonctionnaire » constitue une grande différence avec les médecins de famille des autres pays européens. Les salaires sont plus bas mais la stabilité de l’emploi est garantie. Malgré ce que l’on pourrait croire, la qualité scientifique et des soins de santé est au moins similaire aux autres systèmes, voire supérieure.

Effets pervers

L’impulsion initiale coïncidait avec la consolidation de la démocratie en Espagne, un moment de grande inventivité et de créativité dans une dynamique de vision professionnelle et d’impulsion politique. Ces dernières années, le système de santé espagnol souffre des mêmes problèmes que d’autres secteurs publics. Les partis politiques sont devenus des structures de pouvoir rigides, orientées vers l’intérieur, ou la gestion politique prend le dessus sur la gestion professionnelle, conduisant en conséquence à des erreurs stratégiques par manque de planification. Lors des moments de prospérité économique, le politique, guidé par des intérêts électoraux, a fait des investissements technologiques et structurels dans la construction et l’équipement de nombreux hôpitaux mais, aujourd’hui, en pleine crise, il n’est plus capable de les assumer. Un point important est la division du territoire espagnol en 17 communautés autonomes qui ont progressivement pris en charge la gestion de la santé, l’éducation et d’autres services publics. Cette division, réfléchie pour rapprocher l’administration des citoyens a eu comme conséquence dans certains aspects l’éclatement du modèle de santé, car chaque communauté disposant de sa propre capacité organisationnelle, le développement a été inégal, parfois pour des raisons économiques et souvent pour des raisons politiques. A Madrid : privatisations et dégraissages Le cas de Madrid illustre ce qu’on vient d’expliquer. Cette communauté autonome a la particularité d’inclure la capitale de l’Espagne, où se trouve une grande majorité de la population, et un vaste périmètre de localités. Le revenu par habitant est des plus élevés du pays et son gouvernement autonome est, depuis 18 ans, conservateur. Il y a 10 ans, suite aux promesses électorales, le Gouvernement avait construit et mis en route 10 hôpitaux, tous dans des localités de la périphérie, avec l’objectif de compenser la concentration des hôpitaux dans la ville de Madrid. En santé primaire, l’impact fut moindre, limité à l’amélioration de quelques anciens centres de santé en infrastructure, personnel et soutien économique. Malgré tout ça, l’augmentation des dépenses en santé primaire diminua de 13% à 10% en quelques années. Pour pouvoir construire ces hôpitaux en si peu de temps et pour dépasser les obstacles du système financier public, le Gouvernement avait imaginé un système de sous-traitance à des entreprises privées qui se chargeaient de payer la construction en échange du droit à l’exploitation de certains services pendant 30 ans. Dans certains cas, les travailleurs de soins ont un contrat avec l’Administration publique et le reste des travailleurs avec l’entreprise de sous-traitance, et dans trois cas ce sont des hôpitaux purement privés auxquels l’Administration publique reverse l’intégralité des recettes. Dans les deux situations, ceci signifie d’importantes dettes à long terme dont le remboursement par l’Administration semble plus que compromis. La gravité de la crise a conduit le politique à proposer une série de mesures destinées à réduire les coûts à court terme à tous les niveaux. Tout en gardant les engagements avec les entreprises privées, les restrictions dans les ressources publiques ont commencé : on propose de licencier, d’augmenter le ticket modérateur, le salaire des travailleurs a diminué, le budget des anciens hôpitaux diminue et, surtout, on privatise la gestion des nouveaux hôpitaux et de 27 centres de santé. Cette mesure est quelque chose d’incroyable dans la gestion sanitaire espagnole, par sa forme, son volume et son agressivité, ce qui explique l’opposition massive des professionnels de la santé.

Remobilisation

Pendant des années, nous avons vu cohabiter en Espagne une santé publique majoritaire, gratuite et universelle, très bien reconnue par les citoyens et les professionnels, avec une santé privée complémentaire et même avec l’achat de certains services pour alléger des listes d’attente ou des problèmes ponctuels ou locaux. Ce brusque changement de modèle, sans aucun consensus avec d’autres partis ni avec les professionnels, sans aucune planification stratégique, sans transparence ni critères qui le justifient, suppose la rupture d’un modèle solide et validé, un saut dans le vide qui pourrait finir en catastrophe sanitaire. Face à ce changement, les professionnels de santé primaire, appuyés par les sociétés scientifiques et les ordres professionnelles portent une proposition alternative basée sur une plus grande participation des professionnels de santé, une vraie gestion clinique, une proximité avec les citoyens, la transparence, la garantie d’un leadership des professions de santé, la prise en compte du travail des décennies précédentes et sur une plus grande efficience dans l’utilisation des ressources publiques, pour améliorer les résultats en santé. Cette lutte est sans doute une lutte inégale, la société civile face au pouvoir politique avec toutes ses ressources. Inégale mais nécessaire, dans un moment où les institutions ont démontré leur incapacité à améliorer la qualité de vie des citoyens et où elles favorisent les inégalités dans l’accessibilité. C’est probablement la dernière opportunité pour que nous, médecins, avec les autres professionnels de la santé puissions récupérer un rôle central dans le dessin des modèles sanitaires, actuellement perdu en Espagne. Il est aussi probable que cette situation pourra servir d’exemple à d’autres pays proches : comment arriver à perdre les avancées sociales les plus riches à cause d’une mauvaise gestion politique.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 64 - avril 2013

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