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Le cancer du sein dans les pays du Sud : quelles stratégies de dépistage ?


Santé conjuguée n° 65 - septembre 2013

L’incidence du cancer du sein augmente rapidement dans les pays du Sud et cette croissance est préoccupante. La prévention est dès lors indispensable, mais elle pose des questions particulières : les stratégies mises en place au Nord sont-elles adaptées au Sud ?

Changements sociaux : et la santé ?

Au Maroc, une femme sur 50 sera un jour atteinte d’un cancer du sein, et l’on observe une augmentation des cas d’environ 2,5% tous les ans. L’incidence de cette pathologie reste encore bien inférieure à celle qui est observée en Europe (en Belgique, c’est bien une femme sur dix qui vivra un tel épisode). Mais cette tendance à la hausse existe dans tous les pays du Sud ; l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que, depuis quelques années, le nombre absolu de femmes atteintes de cancer du sein est plus élevé au Sud qu’au Nord. Comment expliquer cette croissance ? Essentiellement par une diminution des facteurs protecteurs liés à des changements sociétaux – lesquels sont par ailleurs favorables au bien-être des femmes et de leurs familles… Le tableau 1 page suivante rappelle l’ensemble de ces facteurs, montrant aussi que la situation reste plus favorable au Maroc qu’en France. Il est probable que ces facteurs protecteurs continueront à diminuer dans les prochaines années, les modes de vie dans le Sud tendant à se rapprocher de ceux du Nord. Cette situation est d’autant plus préoccupante, que « les taux de survie au cancer du sein sont extrêmement variables d’un pays à l’autre, allant de 80% ou plus en Amérique du Nord, en Suède et au Japon à près de 60% dans les pays à revenu intermédiaire, et à moins de 40% dans les pays à faible revenu (Coleman et al., 2008) »1.

Stratégies de dépistage : au Sud comme au Nord ?

Un des problèmes majeurs dans les pays du Sud concernant le cancer du sein est sa détection tardive qui se traduit par une proportion élevée de femmes présentant la maladie à un stade avancé, éventuellement incurable (en Afrique du Nord, la taille moyenne des tumeurs au moment du diagnostic tourne autour de 4 cm). Or, détecté précocement, le cancer du sein est curable dans la grande majorité des cas, à un prix abordable pour les systèmes de santé du Sud. Au Nord, des programmes nationaux de dépistage mammographique ont été mis en place pour assurer la détection précoce du cancer du sein. Mais cette approche est lourde et coûteuse : elle n’est pas adaptée à la réalité des pays du Sud. Alors, quelles sont les alternatives, avec quelles preuves d’efficacités ? Robert Burton (Université de Melbourne), Hélène Sancho Garnier (épidémiologiste au centre anti-cancer de Montpellier) et moi-même avons entrepris une revue de la littérature pour répondre à ces questions ; nous avons ainsi analysé tous les articles publiés ces 15 dernières années sur l’examen clinique des seins et l’autopalpation en tant qu’outils de dépistage, ainsi que les articles sur le dépistage mammographique pertinents pour la problématique Sud. Le premier constat, c’est que l’autopalpation n’est pas un bon outil de dépistage. Deux grandes études (essais randomisés) faites dans les années 80-90 en Chine et en Russie ont permis de comparer la mortalité par cancer du sein dans deux groupes, comportant chacun quelques milliers de femme ; le premier était formé et encouragé chaque année à pratiquer l’autopalpation, le deuxième était laissé sans formation ni renforcement. Au bout de 10-15 ans, autant en Chine qu’en Russie, la mortalité par cancer du sein était exactement la même dans les 2 groupes ! Mais dans le groupe pratiquant l’autopalpation, le nombre de biopsies et d’examens médicaux inutiles (faux positifs) était démultiplié.  Ces résultats ont encouragé les communautés scientifiques et médicales à se tourner vers une autre approche, aujourd’hui recommandée par l’OMS : l’examen clinique des seins, c’est-à-dire la palpation réalisée par des professionnels. Les résultats sont ici beaucoup plus encourageants : ils suggèrent que cette technique peut réduire la mortalité autant que le dépistage par mammographie, avec un meilleur rapport coût-efficacité : un dépistage annuel par examen clinique permettrait de sauver autant de vies qu’un dépistage par mammographie pratiqué tous les 2 ans, pour un coût global 3 fois inférieur. Des essais randomisés sur le terrain sont en cours ; ils n’ont pour l’instant pas démontré d’effet sur la mortalité (le laps de temps écoulé ne le permet pas encore) mais ont mis en évidence un effet positif sur le stade d’avancement.

Responsabiliser les femmes ou les services de santé ?

La responsabilité du diagnostic tardif est souvent attribuée aux patientes qui ne seraient pas allées assez vite chez le médecin. Or, les quelques études scientifiques portant sur ce sujet suggèrent que le diagnostic tardif dans les pays du Sud résulte autant, sinon plus, des faiblesses du système de santé. Même si les femmes vont chez le médecin rapidement, elles sont parfois très mal prises en charge et ne sont diagnostiquées que des mois plus tard. Les barrières financières (prix des consultations et des examens médicaux), le manque de connaissance des médecins de première ligne, le manque de directives pour référer les patientes : tous ces éléments sont d’importantes causes de diagnostic tardif. Dès lors, avant de lancer de grandes campagnes de dépistage de manière verticale, on peut déjà nettement améliorer la situation en se concentrant sur une bonne prise en charge des patientes symptomatiques. Le Sarawak (un état de Malaisie) a mis en place un programme pour former les médecins et infirmières de première ligne aux symptômes du cancer du sein, et leur indiquer clairement où référer les patientes ; cette stratégie a permis de diminuer fortement le diagnostic tardif, passé de 80% à 35% en moins de 5 ans. L’inefficacité des systèmes de santé est malheureusement un problème récurrent dans de nombreux pays du Sud, et si les patients rechignent à aller chez le médecin ou à l’hôpital, c’est parfois en connaissance de cause : le fait est que, bien souvent, ils y perdent leur argent sans y gagner la santé ! Nos recherches futures sur le cancer du sein dans les pays du Sud se concentrent sur ces faiblesses des systèmes de santé et visent à établir des moyens rapides et économiques de les identifier et d’y pallier. Les recommandations actuelles de l’OMS Sur le cancer du sein : prévention et lutte contre la maladie Les stratégies recommandées pour un dépistage précoce dans les pays à revenu faible ou intermédiaire sont la reconnaissance des premiers signes et symptômes et le dépistage par un examen clinique du sein dans des zones pilotes. Le dépistage par mammographie est très coûteux et n’est recommandé que dans les pays disposant d’une bonne infrastructure médicale qui ont les moyens de mettre en place un programme à long terme. De nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire qui se trouvent confrontés au double fardeau du cancer du col de l’utérus et du cancer du sein doivent mettre en oeuvre des interventions combinées d’un bon rapport coût/efficacité et abordables afin de s’attaquer à ces maladies que l’on peut aisément prévenir. L’OMS encourage la lutte contre le cancer du sein dans le cadre des programmes nationaux de lutte contre le cancer et préconise son intégration à la prévention des maladies non transmissibles et à la lutte contre ces maladies. Avec le soutien de la Fondation Komen, l’OMS mène actuellement, et pour cinq ans, une étude sur le rapport coût/efficacité du dépistage du cancer du sein dans 10 pays à revenu faible ou intermédiaire. Le projet comprend un instrument d’évaluation du coût des programmes afin de déterminer s’ils sont économiquement abordables. On espère que les résultats de ce projet contribueront à apporter des données factuelles qui permettront de concevoir des politiques appropriées pour lutter contre le cancer du sein dans les pays moins développés.

Documents joints

  1. Cancer du sein : prévention et lutte contre la maladie Organisation Mondiale de la Santé 2013 www.who.int – (voir encart page 76).

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 65 - septembre 2013

Les pages ’actualités’ du n° 65

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