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Les soins de santé primaires ne seront jamais « people »


Santé conjuguée n° 37 - juillet 2006

L’image que donnent d’eux-mêmes les soins de santé primaires est dévalorisante. Ce déficit symbolique renforce et reflète leur infériorisation dans l’organisation réelle du système de soins. Au-delà d’une réorganisation rationnelle de ce système, c’est aussi d’une révolution culturelle que nous avons besoin.

Dans les hautes sphères de la santé publique, comme du côté des politiques, on se plaît à dire depuis des années qu’il faut donner une place centrale aux soins de première ligne, à la médecine générale, aux soins de proximité. Crise budgétaire chronique oblige, ou plutôt explosion continuelle des coûts, une convergence de vue s’est opérée entre acteurs et décideurs. En théorie, car dans les faits, la part des budgets que l’on y consacre n’augmente guère : l’hôpital, les médicaments et la technologie médicale continuent à absorber une part croissante du gâteau de l’assurance maladie.

« Primaires » ? Vraiment ?

Dans une société démocratique où les médias pèsent de plus en plus lourd dans la décision politique, force est de constater que les « soins de santé primaires » n’ont pas la cote. En français, les termes sont pour le moins malheureux. Le concept de santé publique, traduit de l’anglais (primary care), passe mal en français. Le petit Robert définit ainsi le mot « primaire » : « du premier degré… simpliste et borné… ». Notons la similitude avec le système scolaire : du primaire à l’universitaire pour indiquer la hiérarchie du savoir, profondément ancrée dans notre culture. Les spécialistes ont eu, par contre, la précaution de ne pas qualifier leurs soins de « secondaires » : « spécialisé », c’est tellement mieux. Et la technologie de pointe se trouve dans les « services universitaires ». Pourquoi plus universitaires que les autres ? La médecine générale est tout aussi universitaire que je sache. Dans une société où Dieu a largement cédé sa place à la science, le peuple s’accroche désespérément aux nouvelles avancées technologiques pour tenter d’échapper à la mort. Le système capitaliste l’a bien compris et s’en est habilement servi : le marché de la santé, et particulièrement celui des médicaments, est le plus juteux de tous sur les places boursières. Dans ce contexte, on se demande quelle pourrait être la place des soins primaires, globaux et continus : tout au plus serviront-ils aux responsables politiques à tenter de contenir l’hémorragie des dépenses de santé, sans peut-être d’ailleurs jamais y arriver vraiment. Mais que font les politiques ? Même ceux qui en auraient la meilleure volonté sont bien démunis pour contrecarrer cette terrible machine dont on se demande où elle va s’arrêter. Quand on fait de la politique, si on n’est pas people, on n’existe pas. Et les soins de santé primaires ne le sont vraiment pas. D’autres termes que nous chérissons sont aussi dévastateurs, ou à tout le moins révélateurs : le concept de l’« échelonnement » par exemple. Non pas qu’il faille remette en question son bien fondé, que du contraire, mais le mot révèle à nouveau cette « pyramide » du savoir (en jargon de la santé publique on parle de pyramide des soins). Tout en haut, le savoir pointu de la technoscience dernier cri ; en bas de l’échelle, le généraliste… avec sous ses pieds, pour poursuivre la caricature, les paramédicaux, et encore en dessous, le patient… Décidément les vieux schémas ont la vie dure et il faut se rendre à l’évidence, en terme d’organisation des soins de santé, la modernité n’est pas vraiment au rendez-vous. Ceci se traduit encore dans d’autres choses : quand les généralistes organisent des formations, à qui font-ils appel ? Le plus souvent, à des spécialistes ou à des professeurs d’université. Et les termes de « soins de première ligne » ne sont pas nécessairement plus heureux : on peut se demander pourquoi on est aller chercher du jargon militaire, structure hiérarchisée par excellence, alors que la médecine générale est d’abord un travail d’accompagnement du patient, plutôt qu’un front de lutte contre la maladie. Le « médecin traitant », ce n’est guère mieux : dans l’administration, l’agent traitant est un exécutant qui traite le dossier… et mon voisin agriculteur, quand il pulvérise ses pommes de terre, dit qu’il « traite » ses cultures… Nos patients méritent mieux que cela. Quant au médecin de famille, c’est un peu plus chaleureux, mais avouons que dans le contexte actuel, c’est un peu désuet. Bref, les mots nous trahissent partout : les acteurs de soins de base (encore un, très basique…) n’arrivent pas à se vendre. Ils ont une piètre image de leurs très nobles métiers. Le profond malaise de la médecine générale n’y est sans doute pas étranger. Quand cesserons-nous de penser que nous ne sommes que des « médecins traitants primaires basiques en bas de l’échelle » ? Pour une vision systémique résolument humaniste et moderne : est-ce possible à travers les mots ? Le patient est le centre du système de santé, dit-on un peu partout. Belle déclaration d’intention dans un système qui continue, dans les faits, à largement mépriser le patient. Mais l’intention y est quand même. Ce peut être le point de départ d’une nécessaire « révolution culturelle » des soins de santé. Juste à côté du patient qui est au centre, le médecin (tout court) et les autres intervenants de l’ambulatoire. Cette place est essentielle parce qu’elle est la seule qui permet de véritablement accompagner l’être humain en souffrance, dans le respect de son histoire et de sa singularité, dans la continuité. Autour de ce premier cercle, un deuxième constitué par la médecine spécialisée, l’hôpital, la technologie médicale. Et plus loin encore, un troisième constitué de la médecine hyperspécialisée et la technologie de pointe. Pas plus universitaires que les autres. Véritable révolution culturelle disais-je car préalablement il faut que nous prenions conscience de cette place essentielle, et que nous la traduisions dans notre langage. Les mots pourront-ils nous aider à faire avancer les choses ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006

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