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Mieux comprendre la prévention : alliance entre épidémiologie et sciences humaines

Le vaccin HPV a été introduit assez récemment comme moyen de prévention contre le cancer du col de l’utérus. Comment cette stratégie estelle comprise, perçue par les acteurs concernés ? Le programme REMPAR a mené l’enquête dans la région de Rhône-Alpes auprès de médecins, de jeunes filles et de leurs mères, en articulant différentes approches : l’interdisciplinarité au service de l’écoute.

Le programme REMPAR : Recherche – évaluation des moyens de prévention anti-HPV en Rhône-Alpes est mené par le Centre Hygée et le Centre Léon Bernard (Lyon). Son originalité est d’associer des actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire dans une même structure. Celle-ci est intégrée à un établissement de soins en cancérologie, l’Institut de Cancérologie Lucien Neuwirth, et fortement liée à un centre de recherche. Ce programme est mené par le Centre Hygée et le Centre Léon Bérard (Lyon.) Ce dernier mène toute l’étude quantitative.

Une coexistence difficile ?

Le cancer du col de l’utérus1 est dû à une infection par le papillomavirus humain (HPV), infection sexuellement transmissible très fréquente. Deux moyens de prévention coexistent : le frottis cervico-utérin qui permet la détection précoce et la vaccination HPV qui protège contre 70% de ces cancers. Cette protection étant partielle, le dépistage reste recommandé pour les femmes vaccinées selon les mêmes modalités. Le frottis s’impose aux femmes pendant une longue période de leur vie : il est recommandé en France (comme en Belgique, ndlr) tous les 3 ans pour les femmes de 25 à 65 ans après deux frottis normaux réalisés à un an d’intervalle[C]. La vaccination HPV, elle, n’est pas répétitive et ne concerne que les jeunes filles : au moment de la réalisation du programme REMPAR, elle était recommandée et remboursée pour les jeunes filles de 14 à 23 ans n’ayant pas encore eu de rapports sexuels ainsi que pour celles qui avaient entamé leur vie sexuelle endéans l’année. La coexistence de ces deux moyens de prévention soulève un ensemble de questions : la vaccination a-t-elle un impact négatif sur le dépistage futur par frottis (début et régularité de la surveillance) ? Diminue-t-elle les comportements de prévention vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles ? A l’écoute des acteurs concernés L’étude transversale réalisée dans le programme REMPAR a été répétée à 2 temps différents : lors de la mise en place de la vaccination (temps 0, 2007-2008) et lors de la fin de montée en charge de la vaccination (temps 1, 2010-2011). Trois échantillons ont chaque fois rempli un auto-questionnaire concernant la prévention du cancer du col de l’utérus : le premier échantillon était constitué de médecins, le second de mères de filles de 14 à 18 ans, le troisième de jeunes filles âgées de 15 à 23 ans. Par ailleurs, des sous-échantillons de ces 3 populations ont participé à des entretiens semi-directifs menés par une sociologue, afin de compléter et d’enrichir l’étude quantitative. Les médecins doutent… L’étude quantitative (368 répondants) a montré que certains médecins sont attentistes (14.8%) ou opposés (1.6%) à la vaccination HPV. Pour expliquer cette position, ils évoquaient majoritairement le manque de recul du vaccin, le fait qu’il n’offre pas une protection totale contre l’ensemble des souches HPV responsables du cancer du col, ainsi que leur propre manque d’information. Les entretiens qualitatifs menés auprès de 50 médecins ont permis d’explorer et d’approfondir ces justifications. Ainsi, le manque de recul, très clairement associé au manque d’informations (qui n’étaient pas encore disponibles), semblait susceptible de les mettre en difficulté face aux questions posées par les patientes : y a-t-il des effets secondaires ? Faut-il faire un rappel ? Quel impact a le vaccin sur l’incidence et la létalité ? Les médecins évoquaient les difficultés rencontrées pendant la polémique autour de vaccin contre l’hépatite B dans les années 90 : cette expérience les a marqués et ils ne souhaitaient pas la revivre. Les mères s’interrogent… Certains freins à la vaccination HPV n’avaient pas été spontanément évoqués dans l’enquête par questionnaire ; l’étude qualitative a permis de les faire surgir, et de les mettre en lien avec des caractéristiques socio-économiques ou culturelles. Ainsi, c’est en entretien que les mères ont fait part de leurs interrogations : aborder la vaccination avec leur fille, cela implique la possibilité qu’elles aient une sexualité active, et la nécessité d’en parler. C’est difficile pour certaines mères. Cette difficulté, évoquée surtout par les mères défavorisées, semble être en lien avec la religion : pour certaines femmes musulmanes en particulier, il ne doit pas y avoir de rapports avant le mariage, leurs filles adolescentes ne sont dès lors pas encore concernées par cette vaccination. L’enquête qualitative a également permis de nuancer les résultats de l’enquête quantitative : celle-ci montrait qu’en réponse à une question fermée, 80% des mères savaient que le frottis cervico utérin sert à dépister un cancer, 60% qu’il sert à dépister le cancer du col. Toutefois, les entretiens ont révélé que ces réponses correctes avaient été largement « suggérées » par les propositions contenues dans la question fermée : les femmes n’ont pas pu répondre à la question ouverte (sans propositions) posée à ce sujet. Les jeunes filles hésitent… L’enquête quantitative a révélé une certaine confusion chez les jeunes filles en ce qui concerne les moyens de protection des infections sexuellement transmissibles et les moyens de contraception. Cette confusion semblait à première vue se confirmer lors des entretiens : 7 jeunes filles sur 28 citaient des moyens de contraception comme moyens de protection des infections sexuellement transmissible – ayant entendu parler des deux en même temps, elles avaient tendance à les associer. Toutefois, en approfondissant, nous avons pu constater qu’elles connaissaient bien le rôle du préservatif ainsi que la différence entre ses deux fonctions.

Quali-quanti : complémentarité fructueuse

La complémentarité des approches quantitative et qualitative s’est mise en place dès la construction du dispositif de recherche. Ainsi, lors des entretiens au temps 0, les médecins ont souvent précisé qu’ils préféreraient vacciner des filles plus jeunes (10-12 ans) en profitant des rappels à faire pour d’autres vaccins ; ou, au contraire des jeunes filles plus âgées et donc davantage concernées par la sexualité. Dès lors, dans l’étude quantitative au temps 1, nous leur avons demandé ce qu’ils pensaient des recommandations actuelles. De même, lors des entretiens les médecins ont amené d’intéressantes réflexions à propos des effets positifs inattendus de la vaccination HPV : elle peut, par exemple, être une bonne opportunité pour proposer le frottis aux mamans. Nous avons ainsi ajouté à l’étude quantitative de T1 une question sur les opportunités liées au vaccin. En conclusion, cette étude confirme qu’une méthodologie à double composante offre la possibilité d’analyses multiples qui s’enrichissent mutuellement : l’approche qualitative permet d’approfondir des thèmes qu’il est difficile d’aborder uniquement de manière quantitative ; elle permet aussi d’explorer plus en détail les pistes ouvertes par l’étude quantitative, d’une manière plus centrée sur l’individu et son contexte.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 65 - septembre 2013

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