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Prescrire : pour et par des praticiens de terrain


Santé conjuguée n°91 - juin 2020

Prescrire, revue française indépendante sur les médicaments, a trente-neuf ans et plus de 25 000 abonnés. L’équipe qui la produit compte plus de cent médecins et pharmaciens (et infirmiers, chirurgiens-dentistes, etc.). Depuis l’origine, sa raison d’être est d’apporter aux professionnels de santé – et grâce à eux aux patients – les informations claires, synthétiques et fiables dont ils ont besoin, en particulier sur les médicaments et les stratégies diagnostiques et thérapeutiques.

Le projet Prescrire est né à la fin des années 1970, au sein d’un groupe de médecins et de pharmaciens qui voulaient concrétiser l’idée d’une revue de formation professionnelle « fiable, indépendante, adaptée aux besoins des soins de première ligne », revue qui faisait alors défaut en France. Parmi ces personnes, Danielle Bardelay (pharmacien) et Gilles Bardelay (médecin) ont eu un rôle déterminant : « Dès la fin de nos études, nous avons cherché à bien nous informer. C’était indispensable pour réaliser des soins de qualité. Les études de médecine à cette époque ne délivraient pas une information solide sur les médicaments. Les publications disponibles en français étaient utiles en ce qui concerne les diagnostics, mais elles étaient sous influence des firmes pour la thérapeutique. Pour obtenir une information indépendante, il a donc fallu se retrousser les manches. En 1975, dans la revue Pratiques ou les Cahiers de la médecine utopique du Syndicat de la médecine générale, et pour contrer l’influence de la visite médicale des firmes, nous avons créé une rubrique trimestrielle, intitulée “À la recherche du temps perdu”, présentant les nouveaux médicaments commercialisés en France. Fin 1980, pour développer cette information chaque mois, nous avons lancé Prescrire, en réunissant un groupe de praticiens, médecins et pharmaciens, et de pharmacologues. »

Des références internationales

À la fin des années 1970, tandis que l’aventure de la revue Prescrire était en gestation, ses fondateurs étaient en permanence à la recherche d’informations fiables concernant les médicaments. L’absence de telles informations en français, particulièrement dans le domaine des effets indésirables des médicaments, les avait amenés à rechercher ce qui existait hors de France dans le but de s’en servir, voire d’en assurer la diffusion. Un voyage d’études au Québec a permis à Danielle et Gilles Bardelay de découvrir la revue indépendante étatsunienne The Medical Letter, dont ils sont devenus ensuite, pour un temps, les traducteurs pour la France. Puis, grâce à divers contacts internationaux, ils ont découvert l’Adverse Drug Reactions Bulletin et le Drug and Therapeutics Bulletin, tous deux britanniques, qu’ils ont aussi traduits et aidé à diffuser en France. À cette époque, la revue Prescrire et ses méthodes de travail n’étaient pas encore standardisées. L’étude de l’élaboration collective du Drug and Therapeutics Bulletin a alors apporté beaucoup. Particulièrement pour ce qui concerne les techniques de recherche documentaire diversifiée et approfondie, le rôle du couple auteur/rédacteur référent et celui des relecteurs externes à la rédaction, sollicités de manière spécifique et en grand nombre pour chaque article. La méthode Prescrire s’est ainsi fortifiée, et la revue a progressé dans tous les domaines.

Des soutiens importants pour démarrer

En 1980, les fondateurs ont fait la jonction avec des animateurs de l’Unaformec (alors la seule union nationale d’associations de formation médicale continue en France) et des praticiens hospitalo-universitaires (tout particulièrement l’équipe de pharmacologues de l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris). Pour éviter d’emblée tout lien financier avec les firmes pharmaceutiques, ce groupe a bénéficié d’une aide au démarrage sous la forme d’une subvention annuelle du ministère de la Santé. La décision du ministre de la Santé de l’époque de verser la subvention à l’Unaformec pour Prescrire a été prise à la demande de la direction de la pharmacie et du médicament (DPhM) du ministère de la Santé, et avec l’appui du président de la Commission d’autorisation de mise sur le marché de la DPhM. À la fin des années 1980, dans le contexte de difficultés financières importantes accumulées par l’Unaformec, celle-ci s’est retirée de la gestion de Prescrire, et une association de formation continue indépendante, l’Association Mieux Prescrire (AMP), a été créée afin de poursuivre le développement de la revue. À cette occasion, le régime général d’assurance maladie de la Sécurité sociale a versé une subvention exceptionnelle de sauvegarde de 1 million de francs (français) pour permettre la poursuite de l’aventure. Parallèlement, la programmation de la baisse progressive de la subvention ministérielle a été négociée par les responsables de l’AMP, auprès du ministère de la Santé, en vue de l’arrêt de cette subvention. Depuis 1993, les publications Prescrire et les autres activités de l’AMP sont entièrement financées par les abonnés.

Un but non lucratif

L’AMP est une association de formation à but non lucratif (loi française dite de 1901). Les statuts de l’AMP définissent son objectif dans son article 1 : « œuvrer, en toute indépendance, pour des soins de qualité, dans l’intérêt premier des patients. À cet effet, l’Association pourra prendre toute initiative et entreprendre toute action à des fins de formation des professionnels de santé, de sensibilisation, d’information, et d’amélioration des pratiques ». L’AMP édite l’ensemble des productions Prescrire : la revue Prescrire, Prescrire international (sa version en anglais), l’application numérique, le guide numérique, la revue Compétence 4 à destination des infirmiers, des programmes de formation et d’amélioration des pratiques professionnelles, etc. Une association de professionnels de santé L’AMP est composée principalement de professionnels de santé, motivés par la qualité de l’information en santé. Elle a été conçue de telle façon que l’indépendance, la qualité et l’utilité des productions Prescrire soient pérennes. L’avantage d’être constitué en association type « loi de 1901 » est l’impossibilité pour une personne, un groupe de personnes ou une structure, de prendre le pouvoir et de dicter ses choix et sa politique. Aucun risque de voir une coalition d’actionnaires constituer une minorité de blocage en vue d’imposer ses vues ou de se déchirer dans des guerres de succession. Aucun risque de voir arriver en force dans les structures de l’association des représentants d’organisations cherchant à défendre leurs intérêts propres, tels que des représentants de firmes pharmaceutiques ou des assurances. L’assemblée générale comprend quatre collèges : le collège des fondateurs (dix membres ayant œuvré de manière importante à la création ou au développement des activités de l’association, 20 % des voix lors des votes), le collège des conseillers choisis parmi des personnalités soutenant les activités de l’association (quinze membres, 20 % des voix), le collège des rédacteurs (vingt-cinq membres élus par leurs pairs, 35 % des voix) et le collège des abonnés (vingt membres élus par leurs pairs, 25 % des voix).

« Non merci » : pas de conflit d’intérêts

Les statuts précisent que les adhérents doivent œuvrer pour la prévention des conflits d’intérêts, conformément à la charte « Non merci… » intégrée dans le règlement intérieur de l’AMP. Cette charte énumère les influences auxquelles sont exposés les soignants et les patients. Les signataires s’engagent à œuvrer pour des soins de qualité dans l’intérêt premier des patients, et à agir pour se dégager de ces influences. La charte est signée chaque année par tous les adhérents à l’association. Les responsables de l’association, le directeur éditorial, la directrice éditoriale adjointe, la coordinatrice, les membres de la rédaction et les chargés de mission doivent signer chaque année une déclaration d’absence de conflit d’intérêts. Le choix de l’indépendance et de la pluridisciplinarité Prescrire est financé à 100 % par les abonnés depuis 1993, sans aucune ressource publicitaire, ni subvention, ni actionnaire. C’est en pratique la seule solution qui permette de discuter librement la valeur des outils diagnostiques et thérapeutiques, et aussi les pratiques du ministère de la Santé, des industriels, de l’assurance maladie ou des organisations professionnelles médicales et pharmaceutiques elles-mêmes. Les choix rédactionnels sont ainsi guidés uniquement par leur utilité pratique pour des professionnels de santé en contact quotidien avec des patients. Les comptes sont publiés chaque année depuis 1992 dans la revue et sur le site prescrire.org. La qualité de l’élaboration des textes repose sur le respect de procédures qui font appel à des compétences nombreuses et variées. Cette qualité est garantie par les responsables de la rédaction, et ce travail d’équipe se traduit par la signature collective « © Prescrire ». Toutes les synthèses publiées sont rédigées par son équipe de rédaction. À part quelques exceptions clairement signalées, dont les échanges publiés dans la rubrique Forum, Prescrire ne publie pas de manuscrits adressés spontanément par des auteurs. La plupart des rédacteurs sont médecins (généralistes ou spécialistes, exerçant en cabinet libéral ou à l’hôpital), pharmaciens (officinaux ou hospitaliers), infirmiers ou dentistes. Quelques-uns viennent d’autres horizons, sociologues ou journalistes. Tous les rédacteurs sont formés à la rédaction de textes selon la méthode Prescrire. L’absence de lien financier direct ou indirect avec une firme pharmaceutique et plus généralement de produits de santé est une condition sine qua non d’appartenance à l’équipe.

Un long chemin d’élaboration

La chaine de rédaction collective représente une procédure complexe et exigeante. Elle a pour objectif d’assurer la publication de textes fiables, adaptés aux besoins des abonnés et à jour. Pour chaque rubrique, le choix et l’orientation des projets de textes sont réalisés collectivement par un groupe de rédacteurs, coordonné par un responsable. Une recherche documentaire est mise en œuvre par les équipes du centre de documentation et de l’unité documentation firmes et agences. Le rédacteur principal rédige les premières moutures avec l’aide d’un rédacteur référent qui propose diverses améliorations. Le texte est ensuite confié au responsable de rubrique, qui réalise un premier contrôle du texte, références en main, et apporte les améliorations nécessaires. Le texte est ensuite envoyé à un groupe de relecture pluriprofessionnel, constitué de dix à quarante personnes chargées de critiquer le fond et la forme : des professionnels extérieurs à la rédaction spécialisés dans le sujet abordé, des méthodologistes, des praticiens représentatifs des abonnés (notamment médecins et pharmaciens, généralistes et spécialistes, de ville ou hospitaliers). Des membres de la rédaction participent à la relecture, pour leur expertise propre et pour la bonne coordination entre les rubriques. La réécriture est assurée par le rédacteur principal, à partir des remarques du groupe de relecture et d’une mise à jour documentaire. Des contrôles qualité internes sont dirigés par le responsable de rubriques, qui vérifie la prise en compte des retours des groupes de relecture. Des contrôles références en main sont réalisés avec le concours d’un rédacteur adjoint. Le texte, monté au format de la maquette de la rubrique, est une dernière fois vérifié par le rédacteur principal, le responsable de la rédaction et certains autres rédacteurs impliqués par le thème particulier. Après une ultime étape de vérification des éléments de forme du texte (coquilles, orthographe, etc.), le texte est soumis au responsable de la rédaction qui donne son accord pour inclure le texte dans le processus de publication, numérique et imprimée. Cette procédure d’écriture très contrôlée garantit le travail collectif, motivé par l’intérêt premier des patients. Elle évite aussi à Prescrire de faire face à de nombreux procès, malgré des informations souvent critiques sur les produits de santé et les autorités.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°91 - juin 2020

Introduction

Comment fixe-t-on le prix des médicaments ? Qui décide de leur remboursement ? Combien nous coutent-ils vraiment et combien coutent-ils à la société ? Quelles avancées représentent réellement les nouveaux produits mis sur le marché ? Nous avons choisi de(…)

- Hélène Dispas

Un nouveau rapport aux médicaments

Mai 2040. Une (utopique ?) consultation pluridisciplinaire.

- Hélène Dispas

Le rôle du pharmacien

Le rôle du pharmacien a fortement évolué et se développe avant tout dans une optique de collaboration interdisciplinaire.

- Chaspierre Alain

Quel impact environnemental ?

Tout au long de leur cycle de vie, les médicaments libèrent des substances dans l’environnement. Présents dans l’eau, les sols et les organismes vivants, ces résidus suscitent l’intérêt croissant des scientifiques et d’organisations internationales. Pourtant, leurs(…)

- Pauline Gillard

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L’indépassable conflit d’intérêts

Interdite dans certains cas et autorisée dans d’autres… La publicité pour les médicaments est soumise à un cadre légal définissant à la fois son contenu et les modes de communication.

- Perrine Seron

La polymédication chez les aînés

La polymédication – la prise de cinq médicaments ou plus par jour – est une réalité fréquente chez les aînés. Selon l’Inami, elle est présente chez un patient sur trois âgé de 75 ans ou plus.(…)

- Ariane Mouzon, Benoit Boland, Fanny Vaillant

Un marketing efficace

Les firmes pharmaceutiques, fleurons du capitalisme mondial, puisent paradoxalement une bonne part de leurs ressources dans nos services de sécurité sociale, basés sur un principe plutôt progressiste : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses(…)

- Dr André Crismer

Danger : médicaments !

« Le désir de prendre des médicaments est sans doute le fait qui différencie l’homme de l’animal », écrivait William Osler. L’homme a probablement oublié qu’en grec pharmakon signifiait le remède, mais aussi le poison. Comme drug, en(…)

- Dr André Crismer

Soigner, à tout prix ?

Le dépassement cumulé du budget des médicaments pour les années 2015 à 2018 s’élève à un milliard d’euros, dénoncent les mutualités. Une croissance des dépenses qui s’explique par la manière dont sont fixés les prix des(…)

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Le scénario et les acteurs

L’innovation pharmaceutique a généré l’arrivée d’une quarantaine de médicaments contenant une nouvelle substance active en Europe en 2018. Ces médicaments ont connu un processus de recherche et développement comprenant des étapes précises et distinctes. D’abord, il(…)

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Le poids du secteur en belgique

Le secteur pharmaceutique, poids lourd de l’économie mondiale, est remis en lumière à la faveur de la crise du Covid-19. Son importance pourrait encore s’accroitre, notamment en Europe si les appels à la relocalisation sont entendus,(…)

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Les pages ’actualités’ du n°91

Céline Nieuwenhuys : « Les travailleurs de la santé et du social ne lâchent pas, car ils sont inquiets »

Céline Nieuwenhuys est la secrétaire générale de la Fédération des services sociaux (FdSS). À ce titre, elle fait partie du GEES, le groupe d’experts en charge du déconfinement. Son analyse de la crise du Covid-19 est(…)

- Céline Nieuwenhuys, Pascale Meunier

Diabète et littérature

C’est peu de le dire, mais le diabète est une sale affaire. Une maladie vicieuse et sournoise ! Il s’installe en vous progressivement, sans que vous y preniez garde, et puis, un jour, c’est le coup de(…)

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La santé en lutte

Partout en Europe, les professionnels de santé réclament un refinancement du secteur et de meilleures conditions de travail et de soins. En Belgique, le collectif La santé en lutte défend un système de santé basé sur(…)

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Contrôle des épidémies ? L’OMS avait la solution… il y a 40 ans

Pour une fois, tout le monde est d’accord. Les systèmes de santé intégrés, équitables et accessibles à tous et toutes représentent le seul moyen pour lutter efficacement contre le Covid-19. C’est précisément la solution que l’Organisation(…)

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Nous traversons une épreuve historique. La pandémie du coronavirus bouscule l’entièreté de notre système : la santé, l’économie, la politique. Elle nous touche aussi au cœur de nos familles, de nos relations, de notre travail. Tandis que(…)

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