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Rêves de santé – FANNY DUBOIS – « Un système qui gère des maladies plutôt que de prévenir la santé »


Santé conjuguée n°98 - mars 2022

L’actuelle secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales chérit la Sécurité sociale, une Sécurité sociale cependant mise à mal, notamment par des logiques néolibérales.

Je ne suis pas tout de suite tombée dans le mouvement des maisons médicales. Je suis d’abord passée par la mutualité. Même si j’ai à cœur de toujours garder un lien avec le terrain, de toujours incarner les plaidoyers politiques que je construis, je trouve aussi très important d’avoir une vision macro de la société. Il y a beaucoup de clichés. Par exemple que les chômeurs sont des profiteurs. C’est faux : le budget du chômage, c’est le troisième pan de la Sécurité sociale après les soins de santé et les pensions. Il faut démentir cette vision-là, il faut aussi rappeler que la Sécurité sociale offre une assiette de sécurité dans le cas où une personne perd son emploi, mais aussi dans le cas où elle a besoin d’un remboursement pour ses soins de santé, pour sa future pension, etc. Aujourd’hui, avec l’emploi qui peut faire défaut, c’est plus fondamental que jamais. On l’a vu lors de la pandémie, le chômage temporaire a permis à notre société dans son entièreté de tenir. Des logiques néolibérales visent à la marchandiser, visent à ce que le budget de la Sécu – qui pourtant est le budget des citoyens – aille de plus en plus vers des sphères à but lucratif alors que ça, ce n’est pas du tout dans l’intérêt des citoyens. Un exemple, celui de l’industrie pharmaceutique : on a observé sous la politique de la ministre De Block que l’industrie pharmaceutique a eu un taux de croissance des budgets lié à la Sécurité sociale de 7 % là où la première ligne de soins a été diminuée. C’est un budget, un pot commun des citoyens, qui est alloué à des logiques marchandes plutôt que dans la réponse à leurs besoins en santé publique par exemple. Je suis sidérée de réaliser à quel point des politiques voient plus leurs intérêts personnels, leur carrière, leur pouvoir se maintenir que le courage d’organiser des politiques publiques qui certes à première vue peuvent être moins populaires, mais dans les faits sur le long terme sont vraiment plus positives pour la société, pour le climat, pour la santé publique en général.

Une Belgique sans Sécu, ça ressemblerait à quoi ? Une Belgique sans Sécurité sociale ? Il suffit de regarder les États-Unis. Des personnes doivent s’endetter à vie parce qu’elles ont traversé une maladie ou parce qu’elles ont eu envie de mettre au monde des enfants. Aujourd’hui dans certains territoires populaires habités par des Afro-Américains, une personne sur deux est susceptible de présenter du diabète, un enfant sur cinq est obèse. Ça, c’est la Belgique sans Sécurité sociale si on n’arrive pas à bien la défendre et à la renforcer. Notre système de santé est bon si on le compare à d’autres pays. La Sécurité sociale est un mécanisme génial en termes de répartition des richesses, mais il se dégrade depuis une dizaine d’années. Par ailleurs, il pourrait être amélioré du fait qu’il est encore régi par des normes du tout au curatif plutôt qu’au préventif, par l’éparpillement des professionnels plutôt que l’organisation plus cohérente à l’échelle de différents territoires de ces professionnels en ce compris les différentes lignes de soins. La première ligne de soins, c’est les médecins généralistes, les infirmières, les soignants de terrain, proches des quartiers, des patients ; la deuxième ligne de soins, c’est les hôpitaux, les spécialistes, etc. Quand on compare les budgets de l’assurance maladie invalidité, on se rend compte que la deuxième ligne de soins est bien renflouée même si ces dix dernières années elle a été aussi amenée à faire des économies. La première ligne de soins par contre a toujours été très pauvre et donc ne sait pas répondre à l’ensemble des besoins des citoyens en santé. Plus on renforcera les soins de première ligne, plus on renforcera le préventif, plus on pourra faire face par exemple à des pandémies comme celle que l’on vient de traverser et plus on sera à même aussi de prévenir des maladies plus graves. On est dans un système aujourd’hui qui gère des maladies plutôt que de prévenir la santé des citoyens. J’espère que la pandémie va permettre à nos dirigeants, mais aussi aux citoyens, de prendre conscience des enjeux fondamentaux de travailler à un système plus préventif et plus solidaire, mais ce n’est pas pour autant que l’époque contemporaine arrête ces mécanismes de domination, cette marchandisation du système, cette mise à mal de la concertation sociale dans le système de santé. Je pense qu’il faut garder conscience que ces logiques de pouvoir continuent de nous dominer.

Sécurité sociale

L’arrêté-loi du 28 décembre 1944 institua la Sécurité sociale obligatoire pour tous les travailleurs salariés. Il devait selon ses promoteurs en finir avec la notion dégradante d’assistance publique, en la remplaçant par celle de solidarité effective entre tous les citoyens. Le financement de la Sécurité sociale est assuré par trois sources : l’État, les cotisations patronales et celles des travailleurs. La perception des recettes est assurée par l’ONSS (Office national de Sécurité sociale), celles-ci sont ensuite réparties entre sept branches dont l’assurance maladie invalidité (AMI) (aujourd’hui assurance soins de santé et indemnités ou ASSI).

Devant les risques de détricotage de la Sécurité sociale (menacée aussi bien par la fédéralisation croissante de l’État belge que par la politique néolibérale des gouvernements successifs), la Fédération est régulièrement montée au créneau, comme en 1986 lors de la suppression du tiers-payant pour les soins ambulatoires. En 2001, par exemple, son président Patrick Jadoulle a rappelé que la couverture de protection sociale doit rester basée sur la solidarité et non sur le risque actuariel, comme y incitent les compagnies d’assurance privées, animées par le seul souci du profit. Ce thème est repris dans les mémorandums adressés par la Fédération au monde politique lors de chaque élection.

REVE SANTE – Fanny Dubois – « Un système qui gère des maladies plutôt que de prévenir la santé »

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°98 - mars 2022

(Re)créer des espaces politiques

Inventé en 2002 par l’association Lézards politiques et diffusé par diverses coopératives d’éducation populaire françaises, le porteur de paroles est un outil d’animation qui vise à (re)créer du débat politique dans l’espace public autour d’une question(…)

- Pauline Gillard

L’histoire, un outil de formation

À Gilly, Namur, Bruxelles ou Liège, quelques tonnelles, un lieu d’accueil et, à côté du dispositif Porteur de paroles mis en place lors d’actions locales célébrant les quarante ans de la Fédération [1], un public nombreux discute(…)

- Sophie Bodarwé

Quels défis pour le mouvement ?

Réunis sur base volontaire le temps d’une demi-journée, neuf soignants et deux patients de maisons médicales bruxelloises, liégeoises et brabançonne ont mis en commun leurs observations et aspirations à propos d’enjeux qu’ils et elles estiment prioritaires(…)

- Pauline Gillard

Introduction n°98

Des rencontres, des échanges, des histoires… en quarante ans nous en avons accumulé ! Quatre décennies de lutte pour une vision de l’organisation des soins de santé dans notre pays, peut-être même pour une vision de l’organisation(…)

- Rudy Pirard

Ligne du temps : De A à Z – Histoire(s) du mouvement des maisons médicales

Ces dénicheuses de pépites, ces voyageuses dans le temps sont Marie-Laurence Dubois (Valorescence) et Annette Hendrick (ORAM). Leur inventaire et le classement des documents de la Fédération préparant la démarche historique proprement dite, pour laquelle elles(…)

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Rêves de santé

Le projet remonte à l’été 2021, à l’envie de marquer le coup pour les quarante ans de la Fédération des maisons médicales en recueillant les témoignages de ses pionniers. Pour se rappeler d’où l’on vient, du(…)

- Pascale Meunier

Rêves de santé – JACQUES MOREL – « C’est la société qui est malade »

C’est un peu l’alliance d’une préoccupation pour une médecine humaine et d’une dimension politique. Ils se fondent sur les travaux du GERM, le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine qui est né en 1964(…)

- Jacques Morel

Rêves de santé – NATACHA CARRION – « Le projet de la maison médicale, c’était le rêve devant ma porte »

Au moment du coup d’État, le régime a décidé que nous étions des indésirables, des terroristes. J’ai été en prison pendant deux ans. Mon mari a disparu, certainement assassiné. Moi j’ai été sauvée de justesse. On(…)

- Natacha Carion Osorio

Rêves de santé – RI DE RIDDER – « Un système qui n’est pas efficient »

Je suis venu à Gand pour étudier et j’y suis resté. On a fondé dans ce quartier une maison médicale. En néerlandais, ça s’appelle wijkgezondheidscentrum — centre de santé de quartier. J’y ai travaillé pendant vingt-quatre(…)

- Ri de Ridder

Rêves de santé – MICHEL ROLAND- « Notre modèle structuré est devenu le modèle belge »

En 1977, on s’est dit « on va essayer de faire une maison médicale plus conviviale, plus proche des gens, de la population ». On a choisi une maison qu’on a rénovée nous-mêmes pendant des mois, on a(…)

- Michel Roland

Rêves de santé – JEAN-MARIE LÉONARD – « Penser la santé autrement »

À l’époque, syndicalement, le secteur de la santé c’était les hôpitaux point à la ligne. Quand j’arrive comme permanent à Charleroi avec quelques collègues et une série de travailleurs dont quelques médecins de la région, mais(…)

- Jean-Marie Léonard

Rêves de santé – BRIGITTE MEIRE – « Mutualiser nos forces »

J’étais représentante du personnel au conseil d’entreprise, je voulais comprendre le fonctionnement de l’hôpital ; j’ai aussi compris le fonctionnement du système de santé belge. Puis je suis partie en maison médicale et, en 2000, il y(…)

- Brigitte Meire

Rêves de santé – MONIQUE BOULAD – « On nous appelait les petits médecins »

Nous avions vraiment envie de rompre avec la médecine libérale que nous trouvions beaucoup trop commerciale. Nous voulions travailler en groupe, ce qui était à l’époque tout à fait nouveau. On s’est mis dans des quartiers(…)

- Monique Boulad

Rêves de santé – PIERRE DRIELSMA – « Une arme redoutable pour le changement social »

Souvent à l’époque, on utilisait l’exemple chinois. Dans la médecine chinoise traditionnelle, les médecins étaient payés quand on était en bonne santé, et quand on tombait malade ils étaient pénalisés. Il y avait une espèce de(…)

- Pierre Drielsma

Rêves de santé – BERNARD VERCRUYSSE – « Le pouvoir est fondamental »

Ce qui nous importait avant tout c’était les réunions de réflexion sur la santé du quartier. J’ai eu beaucoup de chance au début parce qu’il y avait un leader, une personne influente de la communauté turque,(…)

- Bernard Vercruysse

Rêves de santé – ISABELLE HEYMANS – « Cette transition, on l’a réussie ensemble »

Quand j’ai étudié la médecine, je pensais que je ferais de l’humanitaire en pays en voie de développement. Pour moi, la médecine générale en Belgique ce n’était pas imaginable parce que je croyais que ça n’existait(…)

- Isabelle Heymans

Rêves de santé – CORALIE LADAVID – « L’éducation permanente, c’est une philosophie »

Je suis arrivée à la maison médicale dans le quartier Saint-Piat, je savais qu’il avait mauvaise réputation, qu’il y avait une grande pauvreté. Très vite, j’ai pu mettre en place, et avec d’autres évidemment, de la(…)

- Coralie Ladavid

Rêves de santé – RUDY PIRARD – « Celui qui connait le mieux sa situation, c’est le patient »

Le quartier du Laveu est un quartier en train de s’embourgeoiser, mais qui à la base est très populaire. On a pour l’instant une grosse mixité : des familles de trente quarante ans avec de jeunes enfants(…)

- Rudy Pirard

Rêves de santé – CLARISSE VAN TICHELEN – « Ce n’est pas juste une question d’accès financier »

Quand on parle de maison médicale, tout le monde n’a pas la même chose en tête : une structure de première ligne qui fonctionne au forfait, une structure affiliée à la Fédération des maisons médicales, une structure(…)

- Clarisse Van Tichelen

Rêves de santé – MICKY FIERENS – « Chaque personne a quelque chose à apprendre aux autres »

Dans les années 1980, les soignants avaient envie d’avoir un retour de ce que les patients ressentaient par rapport à la maison médicale, mais aussi sur la manière dont ils voulaient être soignés et ce qu’était la(…)

- Micky Fierens

Rêves de santé – HÉLÈNE DISPAS – « Tout ce que l’on fait est politique »

Le bureau stratégique – pour résumer avec un mot que peu de gens aiment –, on dirait qu’on est des lobbyistes au service d’une bonne cause. Évidemment, les lobbyistes pensent toujours que leur cause est la(…)

- Hélène Dispas

Rêves de santé – ISABELLE DECHAMP – « La première ligne de la première ligne »

Au début, l’accueil à la maison médicale avait été organisé par des patientes, qui l’ont fait du mieux qu’elles pouvaient, mais sans tenir compte d’options professionnelles : l’écoute, l’organisation, le planning, l’accueil du patient en tant que(…)

- Isabelle Dechamps

Rêves de santé – AUDE GARELLY – « Rester puriste ou s’ouvrir »

La Fédération travaillait depuis plusieurs années sur la mise à jour des critères de membre pour coller à la réalité du mouvement et des enjeux de santé publique aujourd’hui. Je suis allée voir des partenaires ou(…)

- Aude Garelly

Rêves de santé – FANNY DUBOIS – « Un système qui gère des maladies plutôt que de prévenir la santé »

Je ne suis pas tout de suite tombée dans le mouvement des maisons médicales. Je suis d’abord passée par la mutualité. Même si j’ai à cœur de toujours garder un lien avec le terrain, de toujours(…)

- Fanny Dubois

Rendez-vous en 2062 !

F.D. : Quand je suis arrivée à la Fédération des maisons médicales, l’une des premières choses que l’organe d’administration m’a dites, c’est que j’avais tendance à survaloriser ce mouvement et que j’en comprendrais vite la complexité. Effectivement !(…)

- Fanny Dubois, Pascale Meunier

Accélération

Ce mal touche de nombreux soignants et tant de nos patients. Nous courons, nous courons et nous avons de moins en moins de temps. Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand, a consacré un essai à cette(…)

- Dr André Crismer