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Rêves de santé – ISABELLE DECHAMP – « La première ligne de la première ligne »


Santé conjuguée n°98 - mars 2022

Les maisons médicales, ce sont des équipes pluridisciplinaires de médecins généralistes, kinés, infirmières, parfois dentistes ou autres spécialistes. Attention à ne pas oublier l’accueil ! Isabelle Dechamp, entrée en 1996 à la maison médicale Le Gué (Tournai), présente ce métier méconnu.

Au début, l’accueil à la maison médicale avait été organisé par des patientes, qui l’ont fait du mieux qu’elles pouvaient, mais sans tenir compte d’options professionnelles : l’écoute, l’organisation, le planning, l’accueil du patient en tant que personne, etc. Ça allait jusqu’à faire la garde d’urgence le week-end et la nuit chez elles. On ne pourrait plus concevoir cela. Le revers de la médaille, c’est qu’elles ont fait un travail d’accueil en fonction de leurs limites à elles, sans nécessairement penser à ce qu’est accueillir le patient. Est-ce avoir un cadre dans lequel le patient doit rentrer obligatoirement ou est-ce ouvrir un cadre pour que le patient se sente lui accueilli en tant que personne ? C’est cette limite-là qu’il a fallu faire bouger. Pour moi, l’accueil doit se mettre dans une logique d’ouverture vers le patient. Au sein même de la maison médicale qui est elle-même en première ligne, il y a une première phase d’accueil qui est la première ligne de la première ligne. Celui qui arrive dans la maison médicale ne voit pas directement le médecin, il y a un filtrage, une organisation qui veut que le patient soit d’abord écouté, entendu. On lui propose un rendez-vous, on postpose le rendez-vous ou bien on lui propose un rendez-vous dans une équipe et pas seulement chez un médecin. Accueillir « désirablement », je pense que c’est accueillir de la manière la plus empathique possible. C’est s’ouvrir soi-même aussi aux patients comme on demande aux patients de s’ouvrir à la logique de la maison médicale. Le patient doit faire un chemin et nous avons un chemin à faire vers le patient. Le désir, c’est aussi tenir compte du besoin. Derrière l’expression du patient, il y a un besoin ; il faut aller chercher son besoin pour le connaitre et pouvoir y répondre. On doit faire un travail aussi pour qu’il puisse l’exprimer. En l’aidant à décortiquer ce qu’il a en tête au moment où il est là, on l’aide à s’exprimer et à travailler son besoin dans la durée, dans le temps. Je veux dire que ce n’est pas nécessairement tout de suite qu’il aura une réponse, mais une réponse il en aura une. Ça le structure, ça le rassure. Des patients sont dans un tel état de fébrilité, d’inégalités sociales, de précarité psychologique, sociale et médicale qu’il n’y a rien qui passe. Ils ne voient que leur problématique. Le fait de devoir attendre, de postposer un rendez-vous, pour eux, c’est insupportable. Je pense aux jeunes souffrant d’assuétudes. On doit gérer aussi tout ça à l’accueil : des moments de crise, des moments d’angoisse, des moments de tristesse. Certaines maisons médicales ont des lieux à part où une accueillante peut passer un moment avec un patient, prendre le temps de se poser, que le patient puisse reprendre le rythme de sa vie, avoir l’occasion d’échanger. On ne travaille pas avec des protocoles, on travaille avec l’humain, ce n’est pas facile tous les jours. Au niveau de l’accueil même, il y a un peu d’administratif, mais il y a surtout beaucoup de communication, beaucoup d’échanges avec le patient. Il y a aussi ce que le patient va amener. C’est très important d’être dans une relation d’égal à égal avec le patient. L’accueil doit tenir compte aussi de l’équipe pluridisciplinaire qui a posé un cadre, qui fonctionne avec ses propres compétences : le médecin, l’infirmière, etc. Ce n’est pas simple de tout gérer en même temps, on dit parfois qu’il y a aussi un rôle d’advocacy, c’est-à-dire qu’on doit pouvoir défendre auprès de l’équipe le point de vue du patient et que l’on doit pouvoir défendre auprès du patient le cadre dans lequel l’équipe souhaite évoluer. Plus les valeurs que l’on défend… On veut lutter contre les inégalités sociales, on est une médecine sociale et c’est aussi l’accueil qui transmet ces valeurs aux patients.

Le GAF, le Groupe accueil fédé, s’est créé à la fin des années 1990. Il s’agissait d’échanger sur les pratiques. Des formations s’organisaient ensuite, qui font encore le plein aujourd’hui. On parle d’autonomie du patient, de travail en réseau, de communication verbale et non verbale, d’écoute active, d’éthique et de déontologie, de secret médical partagé… On a toujours insisté sur l’importance de ces formations parce que si l’accueillante revendique une reconnaissance dans l’équipe, si elle revendique une revalorisation salariale, elle doit aussi s’investir dans la formation. On a toujours défendu cette formation, ce qui nous rendait aussi plus forts pour être une des personnes de l’équipe pluridisciplinaire à part entière et avoir un rôle thérapeutique. Le Groupe accueil fédé, c’est une manière de valoriser la fonction au sein de la Fédération des maisons médicales et c’est une manière aussi de nous soutenir entre maisons médicales.

Accueil

Pour les maisons médicales, le premier contact du patient avec le système de santé est crucial. Il recouvre l’écoute de la plainte ou de la demande, une première analyse, l’orientation vers des personnes ou services susceptibles de répondre à la demande. La fonction d’accueil a été reconnue dans les textes législatifs : par la Communauté française en 1993, la Région wallonne en 1999 et la Cocof en 2001. Dès 1993, la Fédération organise une formation à l’accueil. Les accueillants représentent aujourd’hui quelque 20 % du personnel des maisons médicales, ce qui en fait la deuxième catégorie la plus importante après les médecins. Ce groupe sectoriel s’est organisé dès 1999. Il a notamment publié l’Abécédaire de l’accueillante en 2005 et organisé des « Assises de l’accueil » en 2014. Il existe depuis 2020 une formation qualifiante à l’accueil dans le secteur ambulatoire social-santé, délivrée par des établissements de promotion sociale.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°98 - mars 2022

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Rêves de santé – MICKY FIERENS – « Chaque personne a quelque chose à apprendre aux autres »

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Rêves de santé – HÉLÈNE DISPAS – « Tout ce que l’on fait est politique »

Le bureau stratégique – pour résumer avec un mot que peu de gens aiment –, on dirait qu’on est des lobbyistes au service d’une bonne cause. Évidemment, les lobbyistes pensent toujours que leur cause est la(…)

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Rêves de santé – ISABELLE DECHAMP – « La première ligne de la première ligne »

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Rêves de santé – AUDE GARELLY – « Rester puriste ou s’ouvrir »

La Fédération travaillait depuis plusieurs années sur la mise à jour des critères de membre pour coller à la réalité du mouvement et des enjeux de santé publique aujourd’hui. Je suis allée voir des partenaires ou(…)

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Je ne suis pas tout de suite tombée dans le mouvement des maisons médicales. Je suis d’abord passée par la mutualité. Même si j’ai à cœur de toujours garder un lien avec le terrain, de toujours(…)

- Fanny Dubois

Rendez-vous en 2062 !

F.D. : Quand je suis arrivée à la Fédération des maisons médicales, l’une des premières choses que l’organe d’administration m’a dites, c’est que j’avais tendance à survaloriser ce mouvement et que j’en comprendrais vite la complexité. Effectivement !(…)

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Accélération

Ce mal touche de nombreux soignants et tant de nos patients. Nous courons, nous courons et nous avons de moins en moins de temps. Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand, a consacré un essai à cette(…)

- Dr André Crismer