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Rudy Demotte : bilan d’une législature


Santé conjuguée n° 40 - avril 2007

A quelques semaines des urnes, jetons un coup d’oeil dans le rétro. Quel bilan tirer de l’action de notre Ministre la santé, Rudy Demotte, durant ces quatre dernières années ? Dans le cadre d’un attelage que certains qualifient de « contre-nature », le travail n’a pas été facile. Double clivage : Rouge/Bleu et Nord/Sud. Comme pour l’ensemble de la politique du Gouvernement sortant, on peut dire qu’il n’y aura pas eu grand-chose de révolutionnaire ; c’était prévu dans la déclaration gouvernementale. Ce qui n’a pas empêché le ministre Demotte d’avancer sur certains dossiers, prudemment…

Il avait deux atouts importants dans son jeu, contrairement à ses prédécesseurs. D’abord, il a eu le copilotage des affaires sociales et de la santé publique, matières qui auparavant étaient gérées par des ministres différents : on a connu de multiples épisodes dans lesquels ces ministres se sont neutralisés mutuellement. Deuxième atout de taille : le budget. Avec une croissance du budget de 4,5% net, Rudy Demotte avait de la marge. Que n’auront pas nécessairement ses successeurs. Il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre que l’Etat ne pourra pas se le permettre longtemps : les dépenses de santé vont bientôt passer la barre des 10 % du PIB, alors qu’on était encore à 8,3 % en 1993.

Accès aux soins : des mesures intéressantes

N’empêche : on sait que les besoins en santé augmentent sans cesse pour quantité de raisons. Vieillissement de la population, nouvelles technologies, et une offre de soins presque totalement privatisée, largement financée à l’acte, rendent l’exercice de l’équilibre un défi constant. Mr Demotte, sur ce point, a réussi son pari, tout en améliorant l’accès aux soins pour les plus démunis : l’élargissement du remboursement préférentiel à toutes les personnes ayant des petits revenus est décidé : c’est le nouveau statut « Omnio » qui prendra ses effets en juillet 2007. Diverses mesures intéressantes ont été prises pour soutenir l’accessibilité aux soins tout en équilibrant le budget : limitation des suppléments d’honoraires dans les hôpitaux, incitation à la prescription de génériques via les campagnes d’information, prescription en DCI (par nom de molécule), fusion du MAF (Maximum à facturer) social et du MAF fiscal, nette amélioration de l’accessibilité pour les travailleurs indépendants, pour n’en citer que les principales. Reste, à ce sujet, un point important sur lequel bloquent les bleus : c’est le plafonnement des cotisations de sécurité sociale. Contrairement aux salariés, les indépendants ayant de gros revenus cotisent proportionnellement moins que les petits. Quand on sait que chez les indépendants les écarts de revenus sont énormes, c’est le principe de solidarité qui en prend un coup. Les petits indépendants devront payer une bonne partie de l’amélioration de leur accessibilité aux soins… Une traduction concrète du « libéralisme social ».

Première ligne de soins : un bilan en demi-teintes

Pour ce qui nous intéresse le plus, à savoir le renforcement de la première ligne, le bilan est mitigé. L’importante réforme structurelle entreprise par ses prédécesseurs visant à donner une charpente cohérente au système, via les SISD, est restée en rade faute de financement suffisant. Du coup, le budget des honoraires de coordination multidisciplinaire reste largement sous-utilisé. Rudy Demotte a préféré lancer le concept des « bassins de soins ». Fort bien, dans la mesure où cela permet une utilisation plus rationnelle des moyens disponibles en terme de services hospitaliers. Mais pour l’instant, les bassins de soins ne sont qu’un concept. Comment sera-t-il articulé avec la première ligne ? Sans moyens pour les SISD, nous avons des raisons de croire que l’hégémonie hospitalière continuera à s’imposer. C’est une erreur. Un système de santé doit se construire à partir de la première ligne, et non la deuxième. Cette difficulté à se centrer sur une première ligne unifiée est probablement liée au poids qu’exerce la mutualité socialiste sur le PS : le rêve de CSD, comme ASD, est de construire la première ligne à partir de leurs services à domicile, en y intégrant des généralistes… On imagine mal ce scénario se réaliser un jour. Les SISD ne sont-ils pas l’occasion de trouver un modus vivendi, sur le terrain, entre mutuelles et généralistes ? A défaut d’aller dans cette voie, Rudy Demotte s’est intéressé aux généralistes. Sur ce point, c’est le plan stratégique pour la médecine générale qui a le plus retenu notre attention. Avec des résultats concrets : augmentation des honoraires de l’acte intellectuel (20/30), création de postes de garde, prolongation automatique du DMG, concrétisation du financement des cercles, révision de l’agrément des MG, incitants financiers à l’installation (Impulseo)… On retiendra particulièrement les premières pierres posées en ce qui concerne l’échelonnement des soins. On ne sait si le système portera beaucoup de fruits, mais c’est un premier pas, symboliquement essentiel. On attend encore ce qui nous tient le plus à coeur, le financement des pratiques de groupe. Une version édulcorée se discute actuellement ; l’ABSyM freine des quatre fers… Passera, passera pas ? Dans son plan stratégique, Rudy Demotte s’était aussi engagé à la simplification administrative. Quelques simplifications, oui, mais de nouvelles réglementations encore plus kafkaïennes. Là l’échec est cuisant. Après la saga des règles de remboursement des hypolipémiants dans laquelle une vache ne retrouverait pas son veau, et la réaction musclée des généralistes, re-belotte avec les antiacides, puis les anti-asthmatiques. Une cellule « kafka » a été créée… Côté numerus clausus, le gouvernement s’était engagé à « préserver le principe d’une planification de l’offre des prestataires… en vue d’arriver à une meilleure adéquation entre l’offre et les besoins… ». Rudy Demotte s’est contenté de laisser le système en l’état, en élargissant juste un peu les quotas. La pénurie pointe à certains endroits et à certaines heures ; dans 10 ans il y aura de sérieux problèmes. Rudy Demotte en est conscient et, d’ailleurs, l’a implicitement reconnu : Impulseo (incitants financier à l’installation en zone prioritaire) devrait favoriser une meilleure répartition de l’offre au niveau de la médecine générale. C’est un premier pas. Mais le cadastre de l’offre médicale, attendu depuis des lunes, n’est toujours pas réalisé. Par ailleurs, une proposition de loi dans le sens de la déclaration gouvernementale, et ayant l’accord du monde étudiant, a été déposée à la chambre par des parlementaires de l’opposition. Le prochain Gouvernement osera-t-il réouvrir ce dossier ? Un autre aspect des soins à domicile, c’est la profession infirmière. Les avancées sont faibles, le métier largement dévalorisé (la toilette à 5 euros…). Déclaration d’intentions sur la nécessité de la collaboration multidisciplinaire. Sans doute un peu de beurre pour les structures liées aux mutualités. Mais sans le MG, puisque les SISD ne peuvent pas fonctionner sans argent… Quelques avancées du côté de l’informatisation du dossier infirmier. Quant aux aides soignantes, elles sont intégrées dans les équipes de soins mais, à nouveau chasse gardée pour les services mutuellistes : selon les dernières nouvelles, les Maisons médicales et les petits groupes d’indépendantes n’y auront pas droit. Reste la nouvelle loi sur la composition de la commission de convention de l’INAMI : les infirmières salariées y seront représentées par leurs employeurs, une majorité d’indépendantes perdront leur représentation et les salariées des maisons médicales ne seront représentées par personne. Mais là, le ministre Demotte n’y est pour rien… C’était une proposition VLD (comprendra qui pourra), votée par la majorité en place. Côté kiné, rien de bien neuf, si ce n’est la création d’un statut social, l’obtention d’un forfait de maintenance informatique, quelques améliorations du remboursement. En santé mentale, pas grand-chose à se mettre sous la dent non plus. Lancement de projets pilotes pour améliorer la concertation autour du patient : un chantier du gouvernement précédent. Et ce qui pose vraiment question, c’est le clivage santé mentale/santé tout court. Ces expériences auraient dû être initiées par les SISD. Question de cohérence. Dans la pratique, peu de SISD s’y sont investis réellement : comment auraient-ils pu le faire alors qu’ils n’existent pratiquement pas faute de moyens ? Autre point noir : la reconnaissance des professions de santé mentale. A l’heure d’écrire ces lignes, tout indique que l’actuel projet Demotte est mort-né (lui-même a fait comprendre qu’il avait peu d’espoir). Il ne figure pas dans l’accord du Gouvernement, et plusieurs partis flamands ont bien dit qu’ils n’en voulaient pas. C’était un dossier politiquement difficile : les parlementaires PS ont bloqué le dossier en dernière ligne droite lors de la législature précédente ; retour de balancier, maintenant qu’ils ont la main, les adversaires du Nord se sont fait un malin plaisir à tout bloquer également. C’est regrettable : sur le contenu, les positions ne sont pas du tout inconciliables. Il était possible d’aboutir, mais force est de constater que le ministre n’y a pas mis les moyens nécessaires. Cela fait près de 10 ans que le chantier est ouvert : faudra-t-il encore plusieurs législatures pour y arriver ? Autre dossier sensible pour les travailleurs de santé progressistes: la réforme de l’Ordre. Rudy Demotte avait pris la précaution de laisser travailler le sénat. Sur base des propositions déposées et débattues, un projet de loi a été élaboré, puis bloqué par les libéraux. Puis une autre a vu le jour, fruit d’un compromis violet. Dans l’ensemble, cette proposition de réforme va dans le bon sens. Mais certaines rumeurs indiquent qu’elle ne passera pas la rampe avant la dissolution des chambres. Ce qui, dans le fond, ne serait pas étonnant. Les résistances sont vives…

Du côté du médicament : entre peurs et erreurs

Côté publicité, Rudy Demotte s’était engagé à « agir contre les excès de la promotion des médicaments ». Sur le terrain, on n’a pas vraiment vu la différence : l’industrie pharmaceutique continue à régner et squatte 95 % de l’information aux médecins. C’était pourtant là un moyen de lutter contre la mal-prescription. D’autre pays européens l’ont fait. En Belgique, on n’ose pas se frotter à cette industrie juteuse en profits, et pourvoyeuse d’emplois. Une information objective et proactive sur les nouveaux médicaments continue à faire largement défaut, et le budget des médicaments n’a de cesse de déraper. Rudy Demotte a préféré suivre la voie tracée par son prédécesseur, à savoir sanctionner plutôt que d’informer. C’est une grave erreur. La santé publique se doit d’abord d’être le soutien du médecin ; la sanction ne doit tomber que quand tous les autres moyens ont été utilisés pour prévenir. On est loin du compte. Toujours sur le front du médicament, on se réjouit quand-même de la possibilité de prescription en DCI, même si elle pose quelques problèmes. C’est une revendication vielle de plus de 20 ans. Elle aura contribué à l’augmentation de prescription de génériques, et donc à limiter l’explosion de la facture. Bon pour la sécu, bon pour le patient. A nouveau, on regrettera le retrait de certains bons vieux médicaments par l’industrie, au profit de nouveaux bien plus coûteux. Mais dans l’état actuel des choses, que peut y faire un ministre ? Ceci pose la question de la privatisation complète du secteur des médicaments. Et là, l’Etat peut agir.

Prévention, santé publique : de bonnes idées mais des maladresses

Une particularité de la politique du ministre Demotte aura été son investissement dans la prévention. Là, on applaudit. On sait que le PS souhaite sa refédéralisation mais nos amis vondeliens ne l’entendent pas de cette oreille. Son principal dada : le tabac. L’élargissement de l’interdiction de fumer, on ne s’en plaindra pas. Mais le remboursement des traitements pour la femme enceinte chez un tabacologue a fait grincer les dents des généralistes. D’autant que les tabacologues se comptent sur le bout des doigts alors que c’est le travail quotidien des milliers de généralistes. Un sale coup de plus pour une profession en quête de reconnaissance. On n’en n’avait pas besoin. Quant à la création du Fonds assuétudes, dont une partie est réservée à la prévention tabac et l’autre à l’ensemble des autres assuétudes, on devine que la communauté flamande nautés en ce qui concerne la prévena dû manifester sa colère : pas question tion : la concertation avec les entités d’utiliser de l’argent fédéral pour de fédérées a été réduite à sa portion la prévention, chasse gardée des congrue. Communautés… Il faut se rappeler que l’idée de ce fonds avait été élabo-Et en ce qui concerne notre quotidien rée lors de la législature précédente, à la Fédération, signalons que la quasi-et devait servir à refinancer le travail totalité des courriers envoyés par la de prévention des communautés sur Fédération des maisons médicales est base d’un financement provenant des restée tout simplement sans réponaccises sur le tabac. Didier Reynders se… On avait espéré plus. l’avait mis par terre en refusant de signer l’accord de coopération. Rudy Demotte a repris l’idée en la simplifiant pour en faire un fonds fédéral qui mord sur les compétences des communautés. Et patatra… Rudy Demotte a aussi été actif en matière de planning familial (remboursement de certaines pilules, distribution de préservatifs, communication…), de lutte contre l’obésité (plan nutrition et santé), réglementation sur la publicité pour l’alcool, vaccination anti-grippe… En ce qui concerne les contraceptifs, on regrettera que leur remboursement reste limité à certaines catégories d’âge. Annoncé comme priorité mais qu’on n’a pas vu arriver : « la construction d’un véritable tableau de bord des données de santé en Belgique ». C’est un chantier difficile dans lequel il faut associer Communautés, Régions, Provinces, universités… y aura-t-il un jour un ministre qui en fera une vraie priorité ? Enfin, petit commentaire sur la méthode. Le ministre Demotte avait commencé sa législature avec les « dialogues de la santé ». Fort bien. Mais trop court : le dialogue s’est vite transformé en monologue. On l’a vu dans la faiblesse de dialogue avec les Communautés en ce qui concerne la prévention : la concertation avec les entités fédérées a été réduite à sa portion congrue. Et en ce qui concerne notre quotidien à la Fédération, signalons que la quasi-totalité des courriers envoyés par la Fédération des maisons médicales est restée tout simplement sans réponse… On avait espéré plus.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 40 - avril 2007

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