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Syndicats de travailleurs et soins de santé primaires : « Je t’aime, moi non plus » ?


Santé conjuguée n° 37 - juillet 2006

Il ne doit pas être facile pour les syndicats de soutenir les soins de santé primaires. Par exemple, comment gérer les contradictions entre la défense de ce secteur et celle d’autres secteurs autrement plus lourds en emplois, comme le monde hospitalier ou l’industrie pharmaceutique. Yves Hellendorf montre comment la CNE a fait de cette contradiction une force au service du social.

Pensez-vous que le discours syndical soit identique quand il s’agit de défendre les « cotisants » à la sécurité sociale (donc les financeurs de l’INAMI) ou quand il s’agit de représenter les travailleurs des hôpitaux, des soins à domicile ou de l’industrie pharmaceutique ? Le discours syndical a cela de spécifique qu’il se situe systématiquement à l’intersection des intérêts particuliers et de la recherche du bien commun, de l’intérêt du plus grand nombre et surtout du plus faible. Mais en même temps, l’organisation syndicale est un outil d’expression des intérêts professionnels. Elle trouve sa légitimité dans la prise en compte démocratique des positions des travailleurs, exprimées par leurs représentants dans les instances. L’organisation syndicale ne peut donc relever ses défis essentiels que si elle parvient à arbitrer les trois axes de sa pertinence : • elle est une organisation progressiste visant à faire valoir ces idées progressistes au niveau social et au niveau du projet de société (donc politique) ; en cela elle est un acteur social et politique ; • elle est un outil au service des travailleurs ; en cela, elle n’exprime légitimement que les positions démocratiquement conçues dans ses instances ; • elle ne peut concilier ces deux aspects qu’en intégrant son rôle d’éducation permanente, de processus de développement de la conscience du monde citoyen, participatif et collectif.

Les soins de santé primaires

Quand il y a plus de vingt ans, la CNE adoptait un mémorandum « pour une autre politique de santé », elle n’était encore active et représentative que dans les gros secteurs du non-marchand, à savoir les éducateurs et les hôpitaux (et un tout petit peu les soins à domicile). Et pourtant, l’option était claire, sans ambiguïté : contre hospitalocentrisme, et pour des services de santé de première ligne. Cette position était massivement supportée par le personnel hospitalier qui dénonçait à la fois la charge de travail croissante, la déshumanisation des soins, l’entrée des logiques marchandes dans la santé et le « pouvoir absolu » de droit divin, du corps médical. Les revendications visaient à changer de système, faute de pouvoir le modifier à l’intérieur. En 2006, le syndicat a changé. La CNE non- marchand représente valablement la plupart des secteurs du non-marchand. Les débats ont été difficiles. Entre les grosses équipes syndicales expérimentées et pourvoyeuses de nombreux affiliés, situées dans les hôpitaux, et les petites équipes des secteurs émiettés du reste du non- marchand, l’accord 2000 a créé une tension énorme. Cet accord a consacré l’harmonisation barémique via le rattrapage du barème hospitalier. Résultat, 1 % d’augmentation pour le personnel hospitalier de 1996 à 2006 ! Tandis que les maisons de repos, les éducateurs, le socioculturel voyaient les barèmes dépasser parfois une croissance de 20 à 30 % ! Ses affiliés ont reconnu le travail syndical. Ainsi, le nombre d’affiliés a doublé dans le non- marchand en moins de cinq ans, au point que le secteur représente maintenant un tiers des affiliés de tous les secteurs couverts par la CNE. Par contre, si l’hôpital a changé, il a surtout amplifié les défauts perçus depuis les années 80. Le turn-over des patients, la marchandisation avec sa sous-traitance, ses faux indépendants, le lobbying des firmes pharmaceutiques et de matériel médical, la gestion par enveloppe sans balises en terme de surcharge de travail ou de sous-consommation,… sont autant de points de lutte des délégués syndicaux hospitaliers. Mais les traces de l’accord 2000 restent encore vives. Si aujourd’hui, la CNE non-marchand peut continuer à défendre un projet de politique de santé basé sur les soins de santé primaires, c’est aussi parce qu’elle a dans ses instances une série de délégués hors du champ de la santé, qui considèrent non seulement que les soins de première ligne doivent être favorisés, mais surtout que le Social doit passer avant le Sanitaire, que la Santé doit retrouver ses lettres de noblesse dans des conditions de vie et de travail plus dignes, et que la société tout entière doit retrouver les valeurs humaines de prévention et de solidarité plutôt que de curatif et d’assistance. Nul doute que, défendant ce point de vue, la CNE développe un esprit critique chez les délégués hospitaliers. Il leur permet de s’inscrire dans une revendication d’amélioration des conditions de travail permettant une approche plus humaine : « plus de mains pour des soins plus humains ! ».

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006

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