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Trouver le nord. Les usagers, du fédéral au local


Santé conjuguée n° 60 - avril 2012

La Ligue des usagers des services de santé – LUSS est une fédération francophone indépendante d’associations de patients. Elle est devenue un interlocuteur privilégié du niveau fédéral. Se faire entendre à ce niveau permet de faire bouger bien des choses mais fait courir à la LUSS le risque de s’éloigner du terrain et des associations qu’elle fédère. Il y a en effet des besoins qui ne peuvent être pris en charge qu’au niveau local.

La Ligue des usagers des services de santé fédère 80 associations de patients et groupes d’entraide. Micky Fierens, directrice de la LUSS, explique que son travail se mène surtout au niveau fédéral. Si l’interlocuteur principal de la LUSS est au niveau Fédéral, c’est parce que son histoire s’est construite comme ça. En 1999, le ministre Vandenbroucke mettait en place le maximum à facturer. Il s’est appuyé sur la LUSS en train de se structurer pour interroger les patients chroniques sur les coûts qui restaient à leur charge après intervention de la mutuelle. Si cela a permis d’obtenir des résultats très concrets pour les patients, cela a orienté le positionnement et le travail de la LUSS qui est restée très proche des ministres fédéraux de la santé, heureux d’avoir un interlocuteur pour l’ensemble des associations de patients. La LUSS participe donc à différents comités de pilotage et comités de concertations : à la commission fédérale ’Droits du patient’, au comité d’avis de l’Agence fédérale des médicaments et produits de santé, à l’Observatoire maladies chroniques de l’INAMI, au conseil d’administration du Fonds des accidents médicaux, au Comité de concertation de la Plate-forme eHealth… C’est l’occasion de rencontrer et de travailler avec les mutuelles, les représentants des professionnels, des hôpitaux, l’INAMI, des parlementaires et de permettre la prise en compte de certaines réalités vécues par les patients dans l’organisation du système de santé. Le bon, la brute et le truand Il y a des situations où la concertation dépend largement d’acteurs économiques privés. Dans ce cas les possibilités de prise en compte de l’intérêt des gens deviennent parfois très difficiles. Au moment de la loi Verwilghen qui organisait la continuité individuelle de l’assurance groupe, on a travaillé la question des assurances. On a participé à un groupe de travail au sein du ministère de l’Economie. La Fédération des assureurs, c’est une telle puissance économique que c’est un acteur très difficile à faire bouger. Ils ont bloqué ce travail pendant des années ! Même si les pouvoirs publics tentent de garder du pouvoir dans ces secteurs, les privés sont dans les lieux où les décisions se prennent. Ils ont le pouvoir de bloquer les décisions qui ne vont pas dans le sens de leurs intérêts.

Garder son âme

La LUSS est régulièrement interrogée par le pouvoir public et par divers organismes publics. L’Agence de contrôle nucléaire l’a sollicitée pour demander ce que les patients pensaient du système de médecine nucléaire. Une fédération d’organismes de recherche qui voulait impliquer le patient autour de la recherche clinique… Comme la participation est entrée dans l’air du temps, tout le monde est curieux d’entendre ce que les patients ont à dire ! Parfois pour ne rien en faire… Un des enjeux pour la LUSS est d’éviter la dispersion et de construire une action cohérente à partir des besoins et attentes de ses membres. Auprès des pouvoirs publics, nous devons veiller à ne pas nous transformer en experts. Il ne faut pas qu’on s’éloigne des gens et des associations. C’est pour ça qu’il faut travailler avec eux pour qu’ils nous disent leurs réalités, leurs difficultés. Ce message, la LUSS le portait également à l’occasion d’une table ronde qu’elle organisait à Bruxelles le 6 mars dernier1. La légitimité de son travail de représentation réside dans le travail de proximité auprès des associations de patients. C’est à partir de l’expertise issue du travail d’entraide qu’il lui est possible de ’monter en généralité’ avec les associations de patients pour aller vers le politique et intervenir sur des dimensions collectives de la santé, de la santé publique. Or, le politique sollicite énormément l’association pour représenter les patients. Le risque n’est pas mince qu’une fracture s’opère. C’est notamment pour cela qu’elle travaille depuis plusieurs années à la reconnaissance des associations qu’elle fédère. Par ailleurs, le rôle d’interface entre les associations et le politique demande une certaine adaptabilité ! C’est une vraie jonglerie. On passe de lieux où s’expriment des réalités très concrètes à des lieux où il faut synthétiser, conceptualiser… Après avoir déposé les réalités auprès des pouvoirs publics, nous retournons vers les associations pour dire ce qui a été décidé, ce qui va être mis en place. Cela se fait à travers le journal, les assemblées générales, les formations. La visibilité est au service du contrôle démocratique, mais c’est un vrai défi. La LUSS défend la participation du plus grand nombre, mais ce n’est pas toujours possible. Nous rencontrons les plus actifs dans les associations, qui sont déjà eux-mêmes porteparole. On crée des échelons entre les gens qu’on représente et nous… Dans le Plan sur les maladies chroniques, il y a le projet d’un observatoire2. Là il y aura 12 représentants de patients francophones, 12 représentants de patients flamands et 12 représentants de mutuelles. Pour la première fois il y a de la place pour que les gens viennent eux-mêmes. La présidence sera assurée alternativement par un représentant des associations de patients et un représentant des mutuelles3. Nous avons souhaité l’assumer au début pour pouvoir installer des règles qui prennent en compte le décalage qu’il peut y avoir entre le fonctionnement des patients et des professionnels. La question du rythme par exemple est importante pour ne pas disqualifier les patients dans le processus. Avoir les documents dans les deux langues en même temps ! Réclamer les convocations et les procèsverbaux dans des délais corrects pour qu’on ait le temps de réagir, de travailler sur les sujets abordés avec nos membres. Les mutuelles peuvent s’appuyer sur leurs administrations et leurs services, les associations ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Nous avons également demandé une traduction simultanée partout, y compris pour les groupes de travail. Le plus souvent, les institutions délèguent des gens bilingues ou à peu près. Comme les traductions coûtent cher, quand elles ne concernent que peu de personnes, elles sont supprimées. En général ceux pour qui c’est nécessaire, ce sont les patients qui sont minoritaires… Dans les réunions, il faut aussi que les professionnels puissent entendre ce que les gens disent, même si ce n’est pas tout à fait juste. Si quelqu’un dit qu’un service n’existe pas alors qu’il existe, ça veut dire que ce service n’est pas connu, pas accessible. Si la seule réponse est que le service existe, on passe à côté d’un problème. L’observatoire des maladies chroniques est au sein de l’INAMI. On a prévenu que les patients risquent de venir avec des préoccupations qui sont hors compétences de l’INAMI. C’est important que ces préoccupations soient entendues et qu’il en soit fait quelque chose. A la LUSS, nous voulons agir au départ du patient et pas au départ des compétences ministérielles. Travailler au niveau local, on devrait le faire plus ! Parce que ce ne sont pas les sujets qui manquent ! Par exemple la question des transports pour les personnes seules, malades et qui ne savent pas se déplacer. Si des services sont organisés au niveau régional, ils sont mis en oeuvre au niveau local. Il y a des personnes qui habitent à 30 km d’un hôpital mais dont les dix premiers km sont sur une commune non desservie par un service de transport, ce qui les empêche d’accéder au service de la commune d’à côté. Quand il y a des manques, les autorités locales devraient jouer un rôle d’interpellation du niveau régional ou utiliser les moyens de la commune pour construire des réponses aux besoins des gens. Les communes devraient également servir à mieux informer des services existants quand il y en a. Un autre exemple : les services de soins à domicile. Ils sont organisés et financés par la Région wallonne, mais sont implantés au niveau local. En fonction des communes, la coordination des soins à domicile ne se fait pas du tout de la même manière. Ça va de la commune où quand le patient sort de l’hôpital tout est réglé (soins, repas,…), à la commune où rien n’est organisé pour le patient. Il y a un décalage entre le rayonnement des services et la définition territoriale des pouvoirs compétents. Le niveau local pourrait être en charge de la définition des besoins en santé de sa population. Il aurait une fonction d’impulsion pour que les services rendus à la population soient les mêmes, quel que soit le quartier ou la commune de résidence. Les deux exemples ci-dessus illustrent la complexité de l’action à mener pour que les intérêts des patients soient pris en compte au niveau local. Les interlocuteurs sont multipliés par le nombre de communes, leurs compétences sont interdépendantes de celles d’autres niveaux de pouvoir, les découpages de compétences (territoriaux et entre les niveaux de pouvoir) rendent difficile l’identification de l’interlocuteur adéquat. Interlocuteur qu’il va falloir parfois (souvent ?) convaincre de l’intérêt d’une concertation supplémentaire… Le chemin semble aventureux, long, tortueux, mal éclairé. Les outils de navigation manquent pour permettre de trouver le nord.

Documents joints

  1. http://www. luss.be/index. php?option=com_co ntent&view=category &layout=blog&id=6 1&Itemid=80
  2. L’Observatoire des maladies chroniques est composé d’une section scientifique et une section consultative où siègent les représentants des patients.
  3. Qui sont là aussi en tant que représentants des patients.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 60 - avril 2012

Les pages ’actualités’ du n° 60

Faut-il punir les patients ’négligents’ ?

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- Groupe Re-Germ

Le mensonge ou l’impôt ?

Les inégalités sont un facteur de mauvaise santé. Le progrès, dans sa version libérale, creuse les inégalités. Donc le progrès, dans sa version libérale est un facteur de mauvaise santé. Logique !

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Rendons à César…

Une réaction à l’article de Jacques Morel paru dans Santé conjuguée numéro 57 : « Des mots pour ne pas parler que des maux… mais de la santé. Cinquante ans du GERM et de sa descendance(…)

- Poucet Thierry, van der Stichelen Philippe, Van der Vennet Jean, Vandormael Monique

Le numerus clausus et la planification à l’installation en question

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Une santé en crise ?

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Venant du niveau « macro » de la politique de santé, l’ancienne ministre des Affaires sociales et de la Santé Magda De Galan, aujourd’hui bourgmestre de Forest a repris les fonctions de l’échevinat de la Santé.(…)

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Une grille pertinente ?

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Notre cahier explore deux hypothèses : la première : la démocratie locale constitue un cadre pour réhabiliter la démocratie représentative à travers le rétablissement de la complémentarité entre démocratie directe (ou semi-directe, participative) et démocratie représentative.(…)

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Dans un contexte où se conjuguent la croissance des inégalités et le désengagement de l’Etat, la pertinence de l’investissement local en faveur de la santé se manifeste au travers de multiples initiatives telles les ’Villessanté’ ou(…)

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A Charleroi, l’implication de la ville et des habitants dans les projets ’Villessanté’ a débouché sur la réalisation de nombreuses actions très concrètes. Et ce n’est pas fini…

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La structuration de l’action communale en santé

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Le propos de cet article est de donner un éclairage sur le concept de démocratie et ses déclinaisons, démocratie participative et démocratie délibérative entre autres. Pour commencer, nous inscrirons la démocratie dans le temps. Ensuite, nous(…)

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Conclusion

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Aujourd’hui, les inégalités qui régressaient jusqu’au troisième quart du XXème siècle se creusent à nouveau. Deux phénomènes, différents mais étroitement intriqués en rendent compte : la perte de légitimité du politique et la domination toujours plus(…)

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