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Une politique de santé pour les femmes


Santé conjuguée n° 42 - octobre 2007

C’est en 1791, en pleine Révolution française, que Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, proclame la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Deux ans plus tard, elle perdra la tête sur l’échafaud, non pas pour ses convictions de genre mais à cause de ses idées jacobines. Depuis, bon nombre de ses exigences ont été rencontrées, mais le combat pour l’égalité entre femmes et hommes est loin d’être achevé.

La légitimité de ce combat est pourtant reconnue au plan international. En 1975, la première conférence mondiale des Nations-Unies sur les femmes se tient au Mexique et élabore un plan d’action pour le progrès de la femme. Après celles de Copenhague (1980) et de Nairobi (1985), la quatrième conférence publie en 1995 la Déclaration de Beijing aux termes de laquelle les gouvernements signataires s’engagent à faire progresser les objectifs d’égalité, de développement et de paix pour les femmes du monde entier. Un programme d’action est élaboré pour renforcer le pouvoir des femmes au niveau social, économique et politique, améliorer leur santé, faciliter leur accès à l’éducation et protéger leur droit de reproduction en veillant à ce qu’une perspective sexo-spécifique soit appliquée à toutes les politiques. Les domaines d’action prioritaires du plan d’action de Pékin sont : • la persistance de la pauvreté qui pèse de plus en plus sur les femmes ; • l’accès inégal à la formation ; • l’accès inégal aux soins de santé et aux services sanitaires, les disparités et insuffisances en ce domaine ; • la violence à l’égard des femmes ; • les effets des conflits armés ou autres sur les femmes ; • les inégalités face aux structures et politiques économiques et face à l’accès aux ressources ; • le partage inégal du pouvoir et des responsabilités ; • l’insuffisance des mécanismes de promotion de la femme ; • le non respect des droits fondamentaux des femmes ; •les images stéréotypées des femmes et les inégalités d’accès et de participation aux media et systèmes de communication ; • la disparité dans le domaine de la gestion des ressources et de la préservation de l’environnement ; •la persistance de discriminations à l’égard des petites filles. Les sessions de l’assemblée générale des Nations-Unies de 2000 et 2005 à New-York mettent en place des procédures d’évaluation (« Pékin + 5 », et « Pékin dix ans après ») qui maintiennent la pression sur les gouvernements pour qu’ils appliquent les priorités du plan d’action.

La Belgique, à petits pas

Chez nous, les enquêtes santé réalisées en 2002 et en 2004 par l’Institut scientifique de santé publique démontrent qu’il existe des différences de santé tant physique que mentale entre hommes et femmes. Les femmes souffrent, entre autres, davantage de migraines, de dépressions, d’affections de la thyroïde, de troubles de l’alimentation (anorexie et boulimie), d’ostéoporose ou de phobies que l’homme. Du fait de leur espérance de vie plus longue, elles sont davantage exposées aux maladies dégénératives telles que la maladie d’Alzheimer. Leur risque de maladie cardio-vasculaire, première cause de mortalité chez la femme ménopausée, est sous- évalué. Leur sensibilité aux médicaments présente de notables différences avec celle de l’homme, mal connues parce que la recherche se fait essentiellement sur des sujets masculins, exempts de cycle hormonal et de risque de grossesse et que les résultats sont extrapolés à la femme sans autre précautions que des recommandations quant au risque de prise… en cas de grossesse. Sur un autre plan, l’extension de la précarité touche plus fréquemment et plus durement les femmes, réduisant l’accès aux soins et aux conditions de vie saine. Cette dimension socio-économique ou environnementale est souvent négligée. Le Lobby européen des femmes Le Lobby européen des femmes (LEF) est une large alliance d’organisation non-gouvernementale de femmes dans l’Union européenne (plus de 4000 organisations membres). La coordination belge est représentée par trois organisations : le Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB), le Nederlandstalige vrouwenraad et le Comité de liaison des femmes (CLF). Le Conseil des femmes francophones de Belgique représente de nombreuses associations féminines en Communauté française de Belgique et travaille notamment à une participation plus importante des femmes à la vie politique, à l’amélioration du statut des travailleuses, à la lutte contre les violences faites aux femmes et contre leur pauvreté. A titre d’exemple, le Conseil s’oppose au port du foulard dans les écoles, ainsi que de la burqa et du tchador en public, défend la mixité dans les écoles et l’obligation scolaire complète (pas d’exemption de certains cours tels que gymnastique ou biologie) mais aussi l’instauration d’une aide morale et logistique pour les jeunes filles mises en difficulté par ces mesures (déclaration de octobre 2004). Le dernier rapport de leur commission Enseignement (avril 2007) met en évidence le maintien d’une ségrégation sexuée à tous les niveaux des filières de l’enseignement et s’insurge contre l’affirmation que l’égalité existe. Le Conseil soutient également la création d’une structure de type « cellule Femmes » au niveau du ministère fédéral de la Santé qui rencontrerait spécifiquement les problématiques de la santé des femmes et des différences entre les sexes en ce qui concerne un certain nombre de maladies somatiques, le domaine de la santé mentale, la problématique de la survie plus longue des femmes qui les expose à davantage de maladies chroniques et handicaps, la question de l’accès aux soins pour les femmes en liaison avec la féminisation de la pauvreté, l’attention portée essentiellement aux hommes en matière de recherche, l’amélioration des connaissances en matière de santé qui sont trop peu souvent ventilées par sexe. Le concept de sexospécificité de la santé est pourtant reconnu et tant l’Organisation mondiale de la santé que le Conseil de l’Europe recommandent d’en tenir compte dans l’établissement des politiques de santé nationales. Mais malgré plusieurs initiatives, la Belgique semble manquer d’empressement pour réduire les écarts de santé entre hommes et femmes. La révision de la Constitution en 2002, dans son titre II, intègre cependant de manière explicite le principe de l’égalité des femmes et des hommes avec égal exercice de leurs droits et libertés. Cette disposition ouvre la voie à des actions en cas de discrimination et légitime la politique d’actions positives. La loi du 16 décembre 2002, parue au Moniteur le 31 décembre 2002, porte création de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes avec mandat de garantir et promouvoir l’égalité et de combattre les discriminations et inégalités basées sur le sexe grâce à l’élaboration d’un cadre légal adapté, de structures, de stratégies, d’instruments et d’action appropriés. L’Institut a réalisé une charte en faveur de l’égalité des hommes et des femmes dont vous trouverez le texte ci-après. La Loi du 6 mai 1996, visant au contrôle de l’application des résolutions de la Conférence de Pékin, avec remise d’un rapport annuel des responsables de l’Egalité des chances au Parlement a été abrogée par la loi du 12 janvier 2007 qui intègre de manière structurelle la dimension de genre dans l’ensemble des politiques définies au niveau fédéral. Ce texte fixe dans la loi le principe de gender mainstreaming (stratégie destinée à promouvoir l’égalité de genre) et prévoit : • l’évaluation de l’impact de « genre » des mesures prises par le Gouvernement ; • le genderbudgetting (analyse de l’impact de la distribution des ressources sur l’égalité des femmes et des hommes, déjà prévu dans un projet pilote de 2002) ; • le gender mainstreaming des statistiques ; • la fixation d’objectifs ; • l’amélioration du système de rapportage devant le Parlement. La cellule gender mainstreaming, dispositif d’action concret en vue d’intégrer la dimension de genre dans l’ensemble des politiques du Gouvernement fédéral, est formée de membres de tous les départements ministériels assistés d’un équipe pluridisciplinaire universitaire. Pour l’égalité des hommes et des femmes, les hommes s’engagent L’égalité des femmes et des hommes a fait l’objet d’une attention soutenue de la part des pouvoirs publics, des médias, du secteur privé et du monde associatif depuis plusieurs décennies. Toutefois, il est encore trop souvent admis qu’il s’agit avant tout d’une cause de femmes et que la responsabilité du diagnostic, des réponses à apporter et de la mise en oeuvre de solutions, repose essentiellement sur la part féminine de l’humanité. Or, tout changement profond et durable de société exige la participation et l’engagement de l’ensemble du corps social. C’est donc un défi que les femmes et les hommes doivent relever conjointement. Les enjeux de cette nécessaire transformation sont multiples: • un enjeu démocratique car la place occupée par les femmes dans un pays témoigne de son niveau d’avancement sur le chemin de la démocratie; • un enjeu économique car l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est tout à la fois facteur de dynamisme social et de croissance économique; • un enjeu sociétal car si les compétences sont de plus en plus partagées par les femmes et les hommes, le non partage par les hommes des tâches domestiques, de la prise en charge des personnes dépendantes et de l’éducation des enfants continue d’entraver la promotion des femmes dans la sphère publique; • un enjeu culturel au sens large car les femmes et les hommes ne sont que les deux visages d’une même humanité; • un enjeu pour l’humanité entière puisque, dans nombre d’Etats, et notamment dans les pays en voie de développement, les femmes sont une force de changement et de modernité. Au nom du principe universel d’égalité entre les femmes et les hommes, les hommes signataires de cette Charte ont choisi de s’engager activement en partenariat avec les femmes en vue de promouvoir: 1. L’égalité des femmes et des hommes en droits, en dignité et la pleine citoyenneté; 2. La parité politique et sociale pour un meilleur partage des responsabilités privées, sociales, politiques, économiques et professionnelles entre les femmes et les hommes; 3. L’égalité professionnelle pour une contribution renforcée des femmes au développement économique, pour une réduction des inégalités et l’élimination des discriminations sur le marché du travail; 4. Une meilleure articulation des temps de vie pour un nouvel équilibre des rôles sociaux entre les femmes et les hommes, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée; 5. La solidarité européenne et internationale et l’action de la Belgique pour les droits fondamentaux des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde. Pour atteindre ces objectifs, ils s’engagent à mettre en oeuvre une série de moyens: 1. Veiller, au jour le jour, tant dans leur vie publique (professionnelle, associative, sociale) que dans leur vie privée, à battre en brèche les habitudes, les idées reçues, les a priori et les stéréotypes qui freinent la réalisation concrète de l’égalité des genres; 2. Dénoncer et lutter systématiquement contre les violences faites aux femmes; 3. Sensibiliser l’ensemble des acteurs h/f avec lesquels ils sont en contact; 4. Etablir des diagnostics sur la situation respective des femmes et des hommes dans tous leurs champs d’action; 5. Intégrer des actions concrètes de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans leurs sphères d’action, accompagnées d’objectifs quantifiés de progression; 6. Evaluer régulièrement les actions qu’ils mènent afin de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce texte est librement inspiré de « La charte de l’égalité – Pour l’égalité des femmes et des hommes, la France s’engage », document produit par le Gouvernement français en mars 2004. Pour adhérer à cette charte et vous engager en faveur de l’égalité des femmes et des hommes, merci de renvoyer cette charte signée par fax au 02/233.40.32. Il est également possible de télécharger la charte sur le site web de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, à l’adresse , et de la renvoyer par mail à egalite.hommesfemmes@meta.fgov.be. En mars 2007, le Sénat a été saisi d’une proposition de résolution relative à la prise en compte de la dimension du genre en matière de santé, déposée par Nathalie de t’Serclaes, Clotilde Nyssens, Anne-Marie Lizin, Sabine de Bethune et Fauzaya Talhaoui. Il est demandé au Gouvernement de développer analyses, systèmes d’indicateurs et programmes de recherche prenant en compte la sexospécificité de la santé, y compris dans ses déterminants socio-économiques et environnementaux. Proposition est faite de créer une cellule « Santé des femmes » au sein du service public fédéral Santé publique. Cette proposition est cependant critiquée. Mileen Koninckx, conseillère au Cabinet du ministre de l’Egalité des chances, y oppose l’option d’une politique transversale qui impose de peser, pour chaque décision, l’impact qu’elle aura sur chacun de deux sexes et d’éradiquer ainsi les réflexes discriminatoires. Ce à quoi d’autres objectent que lorsqu’une problématique est l’affaire de tous, elle tend à devenir l’affaire de personne, personne ne se sentant responsable. La question se pose aussi de savoir s’il faut axer les initiatives sur le sexe féminin ou s’il ne serait pas moins stigmatisant de prendre en compte le sexe au sens large. Quoi qu’il en soit, en dépit de ces mécanismes et dispositifs, un déséquilibre persiste au détriment des femmes dans de nombreux domaines. Le chemin de l’égalité des femmes et des hommes demeure escarpé et les priorités définies à Pékin gardent leur pertinence. .

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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